SOCIETE : L’impact du Civil Rights Act, par 3 historiens et une militante.
La Loi a 60 ans
Il y a 60 ans, le 2 juillet 1964, le Congrès adoptait le Civil Rights Act, une loi sur les droits civiques promulguée quelques heures plus tard par le président de l’époque, Lyndon Johnson. La loi sur les droits civiques de 1964 était l’aboutissement d’un mouvement de plusieurs décennies, mené par Martin Luther King, et qui visait à obtenir l’égalité pour les Africains-Américains. Cette loi rendait illégale la discrimination fondée sur la race, la couleur de peau, la religion, le sexe ou l’origine nationale. L’adoption de cette loi ardemment soutenue serait suivie par celle du Voting Rights Act de 1964, une loi sur le droit de vote qui interdisait de nombreuses pratiques discriminatoires en matière de vote, ainsi que par le Fair Housing Act de 1968, une loi sur le logement équitable qui interdisait toute discrimination dans ce domaine.
À l’occasion du 60e anniversaire du Civil Rights Act, ShareAmerica a rencontré trois spécialistes du mouvement des droits civiques et une personne qui l’a vécu d’on ne peut plus près.
Le pouvoir du gouvernement
Jonathan Eig, auteur de King, A Life et lauréat du prix Pulitzer 2024 dans la catégorie biographies
Dans le Sud, les militants des droits civiques, Martin Luther King y compris, faisaient constamment pression en organisant des marches et des boycotts, qui ont fini par attirer l’attention de millions d’Américains. Au vu de toutes ces actions, auxquelles se sont ajoutées la lettre de MLK depuis la prison de Birmingham, l’affaire où des chiens policiers ont attaqué des manifestants pacifiques à Birmingham et la marche sur Washington, la population et la classe dirigeante des États-Unis ont réalisé qu’il fallait agir.
Le Civil Rights Act a mis fin à de nombreuses injustices cautionnées par le gouvernement et qui persistaient dans le Sud depuis des générations. Relativement rapidement après son adoption, les enseignes « Réservé aux Blancs » ont disparu de nombreux lieux, comme les fontaines à soda, le comptoir des diners, les pistes de bowling, les parcs d’attractions, les restaurants et les hôtels. La loi n’a pas eu autant d’effet dans les écoles, le logement et l’emploi, mais elle a tout de même fait passer un important message et inspiré d’autres mouvements de protestation.
Sa pertinence demeure aujourd’hui parce qu’elle démontre que le gouvernement a le pouvoir de changer les comportements, d’accroître les opportunités, de garantir l’égalité des droits et de rejeter les discriminations du passé.
Une nouvelle classe moyenne
Thomas Holt, auteur du livre The Movement: The African American Struggle for Civil Rights et professeur d’histoire émérite de l’Université de Chicago
En vertu du Civil Rights Act de 1964, toute ségrégation dans les lieux publics (dans les institutions d’une certaine taille) est devenue illégale et passible de poursuites devant les tribunaux fédéraux par le département de la Justice des États-Unis. La loi également interdit la discrimination raciale et sexuelle à l’emploi dans les entreprises d’une certaine taille, et a autorisé la création d’une nouvelle administration fédérale baptisée l’Equal Employment Opportunity Commission (EEOC), chargée de procéder à des enquêtes et de faire respecter la loi.
En conséquence du Voting Rights Act de 1965, les autorités fédérales pouvaient intervenir directement pour protéger le droit de vote dans les États où, par le passé, ces droits avaient été systématiquement bafoués pour les citoyens noirs. Pendant les années 1970 et 1980, la taille de la classe moyenne noire a connu un développement spectaculaire, tout comme le nombre de fonctionnaires noirs à tous les niveaux hiérarchiques des administrations, un résultat direct des nouvelles lois.
Un mouvement intergénérationnel
Jeff Kolnick, auteur du livre Freedom Summer: A Brief History with Documents, et professeur d’histoire à l’université Southwest Minnesota State
Prenons trois personnalités au cœur du mouvement pour les droits civiques : W.E.B. DuBois (1868–1963), A. Philip Randolph (1889–1979) et Septima Clark (1898–1987). Force est de constater que sans ces trois géants — et d’autres personnages très importants — le mouvement moderne des droits civiques aurait été très différent.
Mais la présence des jeunes dans le mouvement a également beaucoup compté. Après tout, Martin Luther King n’avait que 26 ans au début du boycott des bus de Montgomery. De nombreux membres de la génération dite « silencieuse » (personnes nées entre 1928 et 1945) ont joué un rôle moteur dans le mouvement jusqu’en 1965 : Diane Nash, Robert Moses, David Dennis, John Lewis, Connie Curry, Gloria Richardson, Ruby Doris Smith, Hollis Watkins, Chuck McDew, Stokely Carmichael (Kwame Ture) et des centaines d’autres.
Il faut donc bien comprendre que l’adoption du Civil Rights Act et celle du Voting Rights Act ont été le fruit d’un mouvement intergénérationnel, impulsé aussi bien par des adolescents que des septagénaires.
L’opportunité d’hier, le défi d’aujourd’hui
Bernice A. King, fille de Martin Luther King et PDG du Centre Martin Luther King Jr. pour le changement social non violent.
Mon père disait que les gens se craignent quand ils ne se connaissent pas. Et c’est ce qu’a fait la ségrégation : séparer les gens.
Mais le Civil Rights Act a créé l’opportunité de nouer des relations au-delà des races, des religions et des cultures différentes. Cette loi a ouvert aux personnes non blanches une fenêtre vers la liberté et la prospérité. Elle a marqué le début du processus d’acceptation de l’égalité de statut des citoyens noirs.
Avant cela, nous étions totalement vus et perçus comme des êtres inférieurs. Aujourd’hui, comment corriger les injustices du passé sans bousculer une partie de la population ? Et la discrimination est de nouveau pratiquée à l’égard de nos citoyens, qu’est-ce que cela veut dire ?
Ce sont des débats essentiels si l’on tient à être crédible quand on critique les politiques et les pratiques d’autres pays.
Source: ShareAmérica