Parution du livre « Justice sociale et paix en Afrique »


Entretien avec YACOUBA Halidou :

« Une paix dans l’injustice est une bombe à retardement, à court, moyen ou long terme. Encore convient-il de souligner que dans un Etat de droit démocratique la quête de  justice doit se faire dans les simples limites du pacte fondateur d’une République, à savoir sa Constitution » a affirmé YACOUBA Halidou dans un entretien accordé à Niamey-Soir autour de son livre titré : « Justice sociale et paix en Afrique » 

Niamey Soir (N.S) : Votre présentation à nos lecteurs.

YACOUBA Halidou (Y.H) : Avant de me présenter, d’abord permettez-moi de vous remercier pour m’avoir donné l’opportunité de me prononcer sur sujet préoccupant qu’est la Justice et la Paix en Afrique. Mes encouragements à NIAMEY-SOIR en lui souhaitant plein succès pour son engagement en matière de liberté de pensée et d’opinions. Je me nomme YACOUBA Halidou. Je suis né en 1969 à Sona (Tillabéry) en région du fleuve, titulaire d’une Habilitation à diriger des recherches (HDR) en philosophie politique et sociale. Il est Enseignant-chercheur au Département de philosophie de l’Université Abdou Moumouni de Niamey (Niger) où j’ai précédemment assuré les fonctions de Chef du Département de philosophie de 2008 à 2012, puis Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université régionale de Zinder.

N.S : « Justice sociale et paix en Afrique » : c’est le titre de votre dernier ouvrage paru aux éditons l’Harmattan. Pourriez vous nous expliquez les raisons du choix de ce thème ?

Y.H : Le choix de ce thème justice sociale et paix en Afrique n’est ni fortuit ni hasardeux. Il s’origine dans la problématique de la paix en Afrique. Il y a une sorte de déterminisme entre justice et paix sociale. C’est dire que quiconque  veut la paix veut nécessairement la justice. L’injustice conduit inévitablement à la violence. C’est une loi de la nature humaine. Une paix dans l’injustice est une bombe à retardement, à court, moyen ou long terme. Encore convient-il de souligner que dans un Etat de droit démocratique la quête de  justice doit se faire dans les simples limites du pacte fondateur d’une République, à savoir sa constitution. Mais que faire lorsque les gouvernants ne respectent pas les termes du contrat qu’est un gouvernement civil ? A cette question,  la réponse du  penseur Britannique, Locke, par exemple est on ne peut plus claire et distincte. A ses yeux,  il faut recourir à la rébellion.  Mais il convient de préciser que la rébellion dont il est ici question  est celle qui est aux antipodes de tout usage de  la violence. Dit autrement, c’est une rébellion qui exclut  tout usage de la violence. Dans l’histoire de la démocratie la désobéissance civile est par exemple une forme de rébellion sans violence. Il faut condamner toute forme de violence. A tout point de vue, la violence est mauvaise. Pourquoi ? Parce qu’on ne sait jamais où elle va.

N.S : Selon vous, comment peut-on promouvoir la Paix sociale en Afrique ?

Y.H : Je pense que la culture de la paix est un devoir pour tout citoyen. Nous devons cultiver la paix sociale  dans l’Etat en Afrique au moyen du règne de la  justice.  Sans paix aucune politique de développement ne peut se réaliser en Afrique, ce continent qui tarde toujours à être au rendez-vous de l’histoire  des continents qui se développent. La paix sociale en Afrique passe par la justice entendue à la fois comme pratique du bien et application du droit. C’est dire que la notion de justice  constitue un arsenal et une armature théorique pour aborder la problématique de la paix en Afrique. Philosophiquement analysée, pour parler comme le philosophe de la Sorbonne, Alain Renaut, une politique juste consiste dans la capacité des gouvernants à mieux discerner la logique des possibles en matière d’application des principes. Je dirais qu’une politique juste  se traduit par la justice sociale, laquelle consiste dans le respect des mêmes libertés pour tous. Par là, elle empêche dans un Etat la hiérarchisation des citoyens selon appartenance ethnique, régionale, religieuse ou idéologique.

N.S : En Afrique, quel peut être la tâche philosophique des Etats face aux limites du Droit notamment le non respect des textes ou leur non applicabilité ?

Y.H : Je crois que face aux limites manifestes du  droit, la tâche philosophique des Etats africains doit consister à recourir à des solutions juridiques spirituellement fondées. Le recours  au dialogue politique et interculturel, ainsi qu’au pardon,  est donc d’une nécessité insoupçonnée. Une généalogie philosophico-politique de l’humanité permet de dire que celle-ci commence au dialogue. N’oublions pas que tous les conflits armés ou guerres ont pris naissance dans le refus obstiné du dialogue sur fond du désir d’anéantissement systématique de l’autre qui devrait et pourrait pourtant être un interlocuteur fiable et incontournable. Le dialogue et le pardon sont donc les assises spirituelles de la justice. Elle consolide la justice en l’humanisant.  Mais il faut reconnaître que la condition d’effectivité de la justice sociale c’est l’éducation, laquelle doit être entreprise dès l’enfance. Car à en croire le père fondateur l’Académie ou Première École des Sciences Politiques, Platon, l’enfance est la période de la vie où l’âme  encore pure et malléable peut être réglée sur le modèle de la vertu comme science du bien. Il s’agit du bien qui est d’une utilité à la fois publique et privée. Toute chose qui n’est possible que dans un Etat de droit démocratique. La justice est le piédestal de l’harmonie individuelle et collective. Ignorer cela, c’est ignorer l’essence de la paix sociale dont les États africains ont fortement besoin pour amorcer leur développement.  Jusqu’ici le continent africain, du fait du règne de l’injustice dans bon nombre de ses  Etats  demeure un continent boiteux  qui continue de pleurnicher en accusant toujours l’Autre. Certes l’Occident n’est pas sans reproche dans le malheur de l’Afrique. Mais force est de reconnaître que le continent africain est le premier responsable de son malheur en refusant la bonne gouvernance dans bon nombre de ses Etats. Qui dit bonne gouvernance dit politique juste. Est politique juste toute politique qui assure  à tous les citoyens la justice dont les deux  principes fondamentaux sont la liberté et l’égalité. Il n’y a pas de justice sociale  dans la pauvreté.  C’est dire que la justice sociale intègre tous les droits de l’homme dans la mesure de l’humaine condition. En clair, une politique juste est celle dont le fondement est la justice.

N.S : Avant de clore cet entretien, auriez-vous à lancer à l’endroit de la jeunesse africaine ?

Y.H : Mon appel à l’endroit de la jeunesse africaine c’est de rejeter toute forme de violence dans ses revendications. Certes l’Etat de droit démocratique est celui qui  garantit la libre  expression des droits. Mais, en tant que citoyens responsables, les jeunes  doivent faire  des revendications raisonnables pour parler comme le grand théoricien de la justice,  John RAWLS. Encore faut-il que les gouvernants soient aussi  malins pour être à l’écoute attentive de leur peuple en général et de la jeunesse en particulier. Partout où il y a écoute attentive  il y a espoir d’amour. Il s’agit de l’amour  mutuel entre gouvernants et gouvernés dans les simples limites de la loi. Pour ce faire, il faut une intense action éducative de la jeunesse. Une jeunesse sans éducation est une catastrophe humaine. La jeunesse doit bénéficier d’une éducation qui assure la réalisation à la fois de l’être et de l’avoir. Il faut donc une éducation socialement rentable pour conjurer le chômage, lequel favorise ce nouveau état de violence communément appelé terrorisme. Je vous remercie.

Propos recueillis par

Écrivain du Sahel

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