La CNDH condamne les interdictions systématiques des manifestations


Déclaration de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) sur les manifestations du 25 Mars 2018

  1. Très préoccupée par la situation née de l’interdiction de la marche suivie de sit-in prévue par le Cadre Indépendant de Concertation et d’Actions Citoyennes de la Société Civile, ayant occasionné la fermeture du Groupe de Presse Labari et l’occupation des sièges du Mouvement Patriotique pour une Citoyenneté Responsable (MPCR) et de l’Association Alternative Espace Citoyen ; la CNDH, conformément à ses prérogatives constitutionnelles de veiller à l’effectivité des droits et des libertés, tels que consacrées par les dispositions de l’article 44 de la Constitution et de la Loi organique 2012-44 du 24 août 2012, a effectué les 25, 26 et 27 mars 2018 une série de rencontres et d’investigations en vue de s’enquérir de la situation afin de donner un avis documenté sur d’éventuels cas de violations de droits humains et formuler des recommandations pour des solutions idoines. Ces démarches ont conduit la CNDH à visiter, d’une part, les locaux du Groupe Alternative Espace Citoyen, de la Compagnie Nationale de Sécurité, du Groupe de Presse Labari et, d’autre part, à rencontrer les parties prenantes suivantes : les personnes interpellées à la Police Judicaire, le Gouverneur sortant de la Région de Niamey, le Secrétaire Général du MPCR et le Ministre d’État en charge de l’Intérieur. Le Président de la Délégation Spéciale de Niamey n’a pas voulu rencontrer la mission de la CNDH, malgré l’insistance de cette dernière.

À l’issue de ces visites et rencontres, la CNDH :

  • condamne les conditions brutales d’interpellation de certains acteurs, l’interdiction de communiquer avec leurs familles et le manque d’alimentation jusqu’au passage de la CNDH,
  • rappelle que le samedi 06 janvier 2018, dans une démarche préventive, elle a organisé à son siège une table ronde relative à la Loi régissant les manifestations sur les voies publiques. Cette importante rencontre avait regroupé des représentants des Organisations de la Société Civile, de l’USN, des FDS , de la Ville de Niamey, du Ministère de la Justice, de l’Intersyndicale des Travailleurs du Niger, du Barreau, du SAMAN, de l’Association des Jeunes Avocats,  des partis politiques non affiliés et des partis de l’opposition politique.
  1. L’Objectif visé était d’amener l’ensemble des acteurs à réfléchir sur les voies et les moyens de concilier l’exercice du droit de manifestation sur la voie publique et le nécessaire respect de l’ordre public pour la stabilité et la paix sociale. Suite  aux débats fort enrichissants, courtois et fructueux, les participants ont pris des engagements pour que l’interdiction systématique des marches et meetings n’apparaisse plus comme la règle mais l’exception et qu’en cas d’interdiction que la notification se fasse à temps pour que les organisateurs puissent user de leur droit de recours légaux. En retour, les organisateurs doivent eux aussi obtempérer en cas d’interdiction. Les Agents chargés du Maintien de l’Ordre doivent encadrer plutôt que de réprimer les manifestants, parfois jusque dans les domiciles. Enfin le dialogue entre les parties prenantes doit être privilégié en lieu et place de la confrontation.
  2. Au vu de tous ces engagements, la CNDH déplore et condamne les interdictions systématiques des manifestations et regrette que les organisateurs à Niamey au lieu de saisir le juge des référés aient décidé de maintenir la marche suivie de sit-in, et se félicite qu’à Zinder et Tahoua les manifestants aient privilégié la voie judiciaire et aient eu gain de cause ; regrette par ailleurs, que les arrestations opérées aient concerné des personnes étrangères à la manifestation, qu’il ait eu des affrontements entre les forces de l’ordre et certains manifestants et qu’il y ait eu détérioration de biens publics. La CNDH s’interroge sur la fermeture manu militari du Groupe de Presse Labari, prérogative réservée au Conseil Supérieur de la Communication, autorité de régulation des medias ; et s’est interrogée également sur l’occupation injustifiée par les Agents de Maintien de l’Ordre des sièges du MPCR et du Groupe Alternative Espace Citoyen.
  3. Pour un retour au calme et un apaisement rapide de la situation, la CNDH fait les recommandations suivantes :
  4. Un libre exercice des libertés publiques des citoyens dans le respect de la légalité,
  5. La diligence de la justice dans le traitement des dossiers des personnes interpellées pour donner une chance au dialogue social,
  6. La CNDH vient d’apprendre que la Justice a ordonné la réouverture du Groupe de Presse Labari, s’en félicite et encourage les Magistrats à rendre la Justice au nom du peuple et dans le strict respect de la règle de droit, article 117 de la constitution du 25 novembre 2010,
  7. l’interdiction des manifestations, plutôt que d’être la règle, doit être l’exception et toujours motivée par des raisons notifiées dans les délais raisonnables aux organisateurs conformément aux dispositions légales ;
  8. en cas d’interdiction de manifestation, les organisateurs doivent saisir le juge des référés au lieu de la braver ;
  9. la nécessité d’instaurer un cadre de concertation entre les Autorités Administratives et les organisateurs des manifestations, surtout en cas d’interdiction ;
  10. le respect strict des textes et procédures en matière de gestion des manifestations sur la voie publique et un renforcement de capacités de tous les acteurs en droits humains, conformément aux conclusions de la Table ronde organisée par la CNDH ;
  11. le respect de la dignité de la personne humaine et l’intégrité physique des personnes par les Agents chargés du Maintien de l’Ordre dans leur mission et la préservation des biens publics et privés par les manifestants ;
  12. enfin, lance un vibrant appel à l’ensemble des parties prenantes afin qu’elles inscrivent leurs actions dans le strict respect de l’ordre démocratique et républicain.

Fait à Niamey le mercredi 28 mars 2018

Le Président

Pr. Khalid IKHIRI