Entretien avec Hajia Zeinabou Abdou Badjé sur la crise de l’immobilier au Niger


« Il n’y a pas de boom de l’immobilier au Niger, il y a plutôt de l’anarchie qui s’est installée depuis que l’État a libéralisé ce secteur…l’arnaque est le problème le plus fréquent dans ce milieu. Vous achetez une parcelle, la même parcelle va ou peut se retrouver avec une autre personne d’où les doublons sans oublier l’autre problème récurrent de bornage…. » a dit Hajia Zeinabou Abdou Badjé, dans un entretien accordé à  « Niamey-Soir ». Elle est Secrétaire Générale du Syndicat des Professionnels de l’Immobilier au Niger (SPIN),

Niamey-Soir (N.S) : Votre présentation et dites nous quelle appréciation faites-vous du boom de l’immobilier avec l’extension accélérée de la ville capitale d’une part, et de l’autre, une prolifération des agences immobilières au Niger ?

Hajia Zeinabou Abdou Badjé (Z.A.B) : Je me nomme Hajia Zeinabou Abdou Badjé.  Secrétaire Générale du Syndicat des Professionnels de l’Immobilier au Niger (SPIN). Un cadre fédérateur de plus de cinquante agences immobilières et d’acteurs sensibles au domaine de l’immobilier. Le SPIN a été crée en 2011 suite à la libéralisation du secteur de l’immobilier dans notre pays. Pour répondre à votre question, à mon avis, parler de boom de l’immobilier c’est trop dire. Appelons les choses par leurs noms et parlons plutôt de l’anarchie qui s’est installée depuis que l’État a libéralisé le secteur de l’immobilier. Chacun fait à sa tête, le Ministère de l’Habitat, autorité de tutelle ne contrôle pas rigoureusement le dossier de demande des lotissements privés avant la signature de l’arrêté autorisant le lotisseur privé à faire son travail.

N.S : Qu’en est-il alors du respect de la réglementation et des procédures dans l’octroi des arrêtés ministériels pour les lotissements ?

Z.A.B : Il existe des procédures, des règles et des normes légales à respecter. Cependant, la réalité est que les intéressés ne les respectent pas. En principe, avant la délivrance de l’arrêté ministériel au lotisseur d’un terrain, il y a des canevas à suivre. Il y a par exemple dans le dossier, des éléments tels que le plan de masse du lotissement, les détentions coutumières (à titre d’héritages ou d’un terrain acquis sur fond ou d’un terrain attribué à un individu autorisé à lotir), la viabilisation du terrain à lotir comme le cas d’une cité où il faut au préalable s’assurer de la disponibilité des réserves foncières qui relèvent du domine du public. Il s’agit entre autres de la voirie, des caniveaux, des espaces publics, de loisirs et des infrastructures des services sociaux de base (école, centres de santé,  maternité,) le marché, l’eau et l’électrification. La Commission foncière au sein de laquelle sont représentés les différents services publics pour porter une attention soutenue aux réserves de l’État dans le cadre d’un projet de lotissement. C’est entre autres documents à fournir par le lotisseur afin d’obtenir l’autorisation du ministère de tutelle. Malheureusement ils sont aujourd’hui nombreux les lotisseurs privés qui brulent ces étapes et détiennent des arrêtés ministériels les autorisant à lotir des terrains. Pire, l’on constate des espaces publics morcelés voire construits en habitation selon les cas.  Résultat, on se retrouve avec des quartiers sans dispensaire tout simplement parce que l’espace destiné à le construire a été vendu à un gros bonnet.

Tout cela au vu et au su de nos autorités. Elles ferment les yeux dessus parce que ce sont leurs camarades ou partisans de leurs partis politiques, les dignitaires du régime en place qui s’adonnent à ces pratiques dommageables pour les populations. Cela est clair pour nous car un pauvre n’a ni le pouvoir ni les moyens de se permettre de racheter un espace public. Tout se passe donc entre hauts placés.

N.S : Selon vous pourquoi, beaucoup d’agences immobilières n’ont pas bonne presse au Niger, d’aucuns les considèrent comme des sociétés irrégulières qui frisent l’escroquerie, l’arnaque et le mensonge ?

Z.A.B : le secteur de l’immobilier est assurément rentable. Cela peut expliquer la multiplication des agences. Mais tout le monde n’est pas faux dans ce domaine. Nous avons des agences immobilières qui font très bien leur travail dans les règles de l’art mais j’avoue qu’elles ne sont pas aussi nombreuses que celles qui ne le font pas. Aussi, dois-je reconnaitre qu’elles sont nombreuses aujourd’hui dans notre pays, les agences immobilières irrégulières voire même fictives pour ne pas dire qui n’existent que de noms. Il est vrai qu’on peut trouver des agences immobilières sans secrétaire ni siège portées par un seul individu dans son sac. Or une agence immobilière digne de ce nom doit avoir tous ses papiers en règle, une adresse physique (local lui servant de siège), un personnel qualifié et compétent.

Au niveau du SPIN, nous sommes plus de cinquante d’agences immobilières dont nombreuses existaient bien avant  ce cadre syndical. Il y en a qui se regroupent pour venir au SPIN se renseigner ou renforcer leurs capacités. Nous faisons de l’accompagnement aux agences immobilières dans le sens de les aider à mieux connaitre et respecter la réglementation en vigueur. Elles sont en règle vis-à-vis de l’État et ont moins de problèmes avec leurs clients.   Les clients eux-mêmes sont plus rassurés et se sentent plus en confiance et en sécurité en face d’une agence immobilière en règle avec un personnel qualifié. Ils sont plus en sécurité qu’avec les démarcheurs ambulants qui se prennent pour des agents immobiliers.

N.S : Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontées les agences immobilières au Niger ? Enregistrez-vous des plaintes au niveau de votre structure ?

Z.A.B : Oui, en général nous recevons des plaintes où le cessionnaire ou le lotisseur privé à un problème de bornage. A cela s’ajoute le problème le plus fréquent dans ce milieu à savoir celui de l’arnaque. Vous achetez une parcelle, alors que la même parcelle va ou peut se retrouver avec une autre personne d’où les doublons. En majorité, les plaintes qui nous enregistrons au SPIN font cas des problèmes de doublons et de bornage. Quant au problème lié à la viabilisation, il relève du ministère de l’habitat dont j’affirme qu’il ne fait pas bien son travail.

N.S : En cas de dépôt de plaintes, que fait le SPIN ?

Z.A.B : Nous recevons la plainte, enregistrons les adresses complètes des parties concernées par l’affaire, le lotisseur, l’acheteur, l’intermédiaire, la personne mise en cause par la plainte. Nous approchons cette dernière pour écouter toutes les versions. Le SPIN situe les responsabilités en mettant dans la plupart des cas l’intérêt du client (acheteur) en avant. Cela car assez souvent c’est l’acheteur qui est lésé dans cette affaire.

N.S : Qu’en est-le de la responsabilité de l’État ?

Z.A.B : L’État s’est totalement désengagé en libéralisant le secteur de l’immobilier au Niger. La libéralisation du secteur n’exclut pas un droit de regard de l’état  sur ce secteur sensible en ce sens qu’il peut être à la base des litiges qui prennent beaucoup de temps devant les tribunaux et qui peuvent dégénérer en conflits à court, moyen et long terme.  C’est une situation délicate où parfois des gens peuvent décider de se faire justice en usant de tous les moyens.  L’État doit donc intervenir pour assainir le secteur de l’immobilier et prévenir les éventuels litiges fonciers. Du coté des autorités municipales, la Mairie ne doit pas délivrer des actes de cession avant le bornage ou le morcellement d’un terrain. Cela peut être également source de problèmes.

N.S : Comment se présentent les relations entre le SPIN et  le Ministère des Domaines et de l’Habitat ? 

Z.A.B : Je vous  dis tout de suite que le Ministère des Domaines et de l’Habitat nous voit d’un mauvais œil parce que nous n’arrêtons pas de dénoncer la légèreté et le laxisme avec lesquels il traite la question de l’immobilier au Niger.  Il n’y a pas pour le moment un cadre de dialogue entre le SPIN et le ministère de tutelle. Et cela ne facilite pas la résolution de beaucoup de problèmes qui minent actuellement le secteur de l’immobilier dans notre pays. J’ose ajouter que beaucoup de problèmes de lotissement que nous rencontrons aussi bien à Niamey qu’à intérieur du pays sont nés à partir du Ministère et des Mairies. En ce qui nous concerne au SPIN, nous écrivons au besoin, des correspondances pour attirer l’attention du Ministère des Domaines et de l’Habitat mais ces lettres sont restées sans suite. Au départ, lorsque le SPIN a posé le problème de lotissement aux techniciens du ministère de l’Urbanisme d’alors, ils nous ont promis la mise en place d’une brigade sur les différents lotissements et faire le recensement. Mais ladite brigade n’a jamais vu le jour.

Nous nous ne sommes pas arrêtés là, car le SPIN a répertorié tous les lotissements anarchiques de Niamey et de l’intérieur du pays. Ce travail se poursuit avec beaucoup d’attention. Ils sont plus de mille lotissements que les ingénieurs du cadastre ne peuvent pas vous montrer  parce qu’ils ont échappé au contrôle de leur ministère. Nous les dénonçons à travers les médias ou à la justice, à la gendarmerie et à la police judiciaire lorsqu’un démarcheur est convoqué. Seulement, jusque là des mesures n’ont pas été prises par le Gouvernement pour mettre fin à cette anarchie. Si non comment comprendre un  lotissement privé sans arrêté ministériel ? Le lotisseur a vendu les terrains et circule paisiblement sans être inquiété. Comment comprendre un arrêté qui vous autorise à lotir 100 ha et qu’une fois sur le terrain, le lotisseur se permet l’extension du même lotissement sur plus de 400 ha? Avec cette opacité nous estimons que ces lotisseurs qui sont connus de tous soit ils trompent les agents du ministère de tutelle soit c’est avec leur complicité qu’ils se permettent une telle forfaiture. Je me le demande sincèrement.

Dans le même ordre d’idée, je puis vous dire que la justice, la police et la gendarmerie sont mieux placées que le ministère de tutelle pour vous entretenir sur les problèmes de lotissement et de parcelle.

N.S : Est- ce à dire qu’il n’y a pas de dialogue entre acteurs du secteur de l’immobilier ?

Z.A.B : J’ai toujours dit que le dialogue est la condition sine qua non pour régler tout problème de société. Le problème foncier au Niger a atteint un niveau si grave qu’il nécessite une conférence nationale ne serait-ce que d’un seul jour. Le Code rural est un instrument juridique qui pourrait beaucoup aider dans ce sens, mais il n’est pas appliqué. Son application effective peut contribuer considérablement à prévenir les conflits entre agriculteurs et éleveurs, lotisseurs et clients, entre autres. Faute du respect des textes en la matière, des personnes innocentes, propriétaires des terres ancestrales se sont vues expropriées par des lotisseurs privés jouissant parfois de soutien politique sans jamais être dédommagées. Cela est une injustice qui peut être source de conflits.

N.S : Quel est votre souhait le plus cher pour assainir le secteur de l’immobilier ?

Z.A.B : Mon souhait le plus cher pour l’assainissement du secteur de l’immobilier au Niger, c’est l’arrivée d’un ministre qui saura s’imposer sans état d’âme pour mettre fin à l’anarchie et remettre les personnes injustement expropriées dans leurs droits. Un ministre qui place l’intérêt général au devant de toutes autres considérations et qui n’a pas peur d’être remplacé. Pour ce faire, il doit pouvoir réunir autour de lui l’ensemble des acteurs du secteur de l’immobilier pour un dialogue franc et direct. La solution peut venir de là pour finir définitivement avec le désordre qui mine l’immobilier au Niger.

N.S : Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, quelles seraient vos trois (3) première décisions ?

Z.A.B : Je n’y ai pas pensé franchement. Mais si par la Grace d’Allah cela se confirme, ma première décision consisterait à suspendre tous les lotissements privés pour mettre de l’ordre. Il ne sert à rien d’acheter un terrain ou acte de cession qui ne vous attire que des ennuis ou des problèmes à vos héritiers ou ayant droits ? Cela doit cesser quand même.

Suspendre les lotissements, corriger les tares du secteur, remettre les victimes dans leurs droits. Il sera question d’informatiser le système pour éviter les actes de cession en doublons et triplet, aider à renforcer les compétences du juge, de la police ainsi que de la gendarmerie pour faire accélérer les traitements des affaires foncières.

Ma deuxième décision, consistera à supprimer toutes les Agences immobilières qui ne sont pas en règle vis-à-vis de la loi.  Au préalable, celles-ci vont remettre dans les droits toutes  les personnes injustement expropriées  de leurs terres.

Troisièmement, il sera question de toilettage des textes sur le foncier et l’habitat afin des les adapter à l’évolution du contexte tout en assurant leur application effective.

N.S : Votre mot de la fin ?

Z.A.B : C’est un appel au Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat de s’ouvrir à tous les acteurs du secteur de l’immobilier. La ville de Niamey s’agrandit mais l’architecture n’a pas véritablement évolué au même rythme de l’extension de la ville ou comparativement à certaines villes des pays voisins. Je pense qu’il y a nécessité d’impliquer nos architectes dans les plans de conception et de construction de la ville. Un nouveau dessin de la ville s’impose. Un changement de mentalités est également nécessaire. Je crois aussi que l’ordre des architectes doit de son coté communiquer avec la population afin de l’aider à démystifier leur rôle.

La population pense que le travail des architectes coûte cher. Il est temps que les architectes eux mêmes sortent de leurs cabinets pour expliquer le contraire ou tout simplement l’importance de leur rôle en matière de conception des plans de construction. Quant aux citoyens, avant d’acheter un terrain, il doivent s’assurer que l’agent immobilier est sérieux, que le terrain est loti, borné, viabilisé et les actes de cession authentifiés. Cela permet d’éviter trop de problèmes  aussi bien pour lui que pour ses héritiers ou ayants droits. Je vous remercie.

 Propos recueillis par

 Écrivain du Sahel