CENI : La Commission Électorale Nationale Indépendante à la croisée des chemins…
Depuis l’amorce du processus démocratique au début des années 1990, le Niger a toujours eu recours à des commissions, chargées d’organiser et de superviser les opérations électorales. Aujourd’hui, face au blocage du dialogue politique et ses probables répercussions sur l’issue des élections de 2021 et la cohésion sociale, il importe de revenir sur les étapes marquantes du processus d’autonomisation de la commission nationale des élections. L’enjeu étant principalement d’interpeller les acteurs impliqués dans le processus politico-électoral nigérien sur la nécessité de sauvegarder les acquis enregistrés, tout en explorant de nouvelles perspectives, pouvant aider à faire des scrutins à venir, des élections véritablement libres, transparentes, inclusives, apaisées et…apaisantes.
Les premières élections pluralistes du début des années 1990 ont été organisées par la Commission Nationale des Élections (CNE) et ses démembrements locaux. Prévue dans l’Ordonnance n° 92-43 du 22 Août 1992 portant code électoral, la CNE était sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur. Son bureau était composé de 4 membres. Le Ministre de l’Intérieur occupant le poste de président ; le Ministre de la Justice ou son représentant faisant office de Vice-président ; le Directeur des Affaires Politiques et juridiques du Ministère de l’Intérieur assumant le rôle de Rapporteur, secondé par le Directeur du Financement des Investissements du Ministère des Finances et du Plan.
En dehors de ces membres du bureau, la CNE devait également avoir en son sein : « le Ministre des affaires étrangères et de la coopération ou son représentant ; le Ministre de la Défense ou son représentant ; un représentant de la Présidence de la République ; un représentant du cabinet du Premier Ministre, le directeur de l’état civil au ministère de l’intérieur ; le directeur de la comptabilité publique au ministère des finances et du plan ; le directeur des affaires administratives et financières au ministère de l’intérieur ; les conseillers techniques au ministère de l’Intérieur ; le directeur de l’informatique au ministère des finances et du plan ; le directeur de l’administration territoriale au ministère de l’intérieur et un représentant par parti politique légalement reconnu » ( Arrêté n° 251/MI/DAPJ du 8 décembre 1992).
Cela illustre fort bien le poids des hauts cadres de l’administration publique au sein de la commission électorale qui a été « chargée de l’organisation matérielle, technique et logistique » du référendum du 26 décembre 1992, des législatives du 14 février 1993, du 1er tour de la présidentielle du 27 février 1993 et du 2nd tour du 27 mars 1993.
La CNE était certes sous l’autorité de la Commission Nationale de Contrôle et de Supervision des Élections (COSUPEL), qui relevait, quant à elle, du Haut Conseil de la République (HCR). Ainsi, ces deux commissions -la CNE et la COSUPEL- qui constituaient l’ossature de l’administration électorale nigérienne pendant les premières élections pluralistes du début des années 1990, n’étaient pas indépendantes.
Cependant, le climat qui régnait à l’époque au sein de la classe politique, leur a permis d’organiser, de contrôler et de superviser des élections dont les résultats avaient été globalement acceptés par presque tous les partis ayant pris part à la compétition. Et le processus d’autonomisation de la CNE, qui s’est soldé par la création et la mise en place de la Commission Électorale Nationale et Indépendante (CENI), n’a donc véritablement commencé qu’à partir de 1994, pendant la crise politique et institutionnelle.
En effet, après le départ du PNDS de l’Alliance des Forces du Changement (AFC) le 28 septembre 1994, l’indépendance de la CNE est devenue un enjeu politique important, avec la perspective de l’organisation des législatives anticipées. Les nouveaux alliés -le MNSD et le PNDS- doutant de la disposition du Président de la République de l’époque et du Ministre de l’Intérieur, tous les deux membres de l’AFC, à garantir l’impartialité de la CNE.
De ce point de vue, le débat parlementaire du 12 octobre 1994 sur le code électoral, avait surtout en toile de fond la volonté de ces deux grands partis de la majorité qui se dessinait, de soustraire la CNE de la tutelle du pouvoir exécutif. C’était donc dans ce contexte que l’Arrêté n°140 /MI /DAPJ du 14 juillet 1994, qui a repris à l’identique la composition structurelle de la CNE déclinée dans l’article 8 de l’Arrêté n° 251/MI/DAPJ du 8 décembre 1992, fut modifié par l’Arrêté n° 260 / MAT/D/DAPJ/ SA du 30 octobre 1994.
Dans les nouvelles dispositions, on découvre une CNE plutôt présidée par un magistrat en lieu et place du Ministre de l’Intérieur, avec une composition un peu plus étoffée, du fait de l’entrée des représentants des structures de défense des droits de l’Homme et de promotion de la démocratie, et des associations féminines. Et elle ne comporte désormais aucun ministre ou son représentant, mais des hauts cadres techniques de l’administration.
Quelques jours plus tard, on conféra à la nouvelle CNE « une autonomie d’organisation, de gestion, de contrôle et de supervision des élections », la latitude d’élaborer son règlement intérieur, mais aussi le pouvoir de prendre des décisions exécutoires (Arrêté 266/MAT/D/DAPJ/SA du 4 novembre 1994), qui « ne peuvent être remises en cause par les autorités administratives et politiques, les partis politiques ou tout autre groupe de pression » (Arrêté n° 282 MAT/D/DAPJ/SA du 16 novembre 1994).
Les législatives anticipées du 12 janvier 1995, ont donc été organisées par une CNE affranchie de la tutelle du pouvoir politico-administratif et qui exerçait pleinement les prérogatives qui lui ont été attribuées. Mais ce n’est qu’en 1995 que toute cette dynamique transformatrice, énoncée dans les textes et observée dans la réalité, fut traduite y compris dans la dénomination de la CNE, qui devint CENI, Commission Électorale Nationale Indépendante, dans Loi n° 95-016 (bis) du 10 août 1995.
L’indépendance de l’administration électorale nigérienne a donc été acquise de façon progressive, au rythme de l’évolution des rapports de force et des configurations politiques engendrées. Mais le processus n’a pas enregistré que des avancées. Il a aussi connu des revers, pendant les élections transitoires de 1996 par exemple, avec la dissolution de la CENI et un bref retour à la CNE. Il a aussi eu à résister aux menaces sous la 5ème République, pendant la réforme électorale de 2003. Des menaces qui ont cependant été vite écartées, à travers l’adoption des mesures consensuelles.
Par ailleurs, les élections organisées par la CENI de la 6ème République ont été largement boycottées et celles de la fin de la première mandature de la 7ème République ont fait suite à des contestations majeures. Ce qui prouve que le seul fait d’accoler le qualificatif « indépendante » à la Commission Électorale Nationale, ne garantit pas forcément un processus électoral crédible, respectueux des principes élémentaires de la démocratie et à même de contribuer au renforcement de la cohésion sociale.
Il y a, à cet égard, lieu de s’interroger sur la pertinence et la cohérence de toutes les actions entreprises dans le cadre de la préparation des élections de 2021, sur la base des règles non consensuelles et dans un contexte politique particulièrement caractérisé par la rupture de dialogue entre le pouvoir et les principaux partis de l’opposition.
L’engouement de l’actuelle CENI, du pouvoir en place et de certains partenaires extérieurs, ne saurait par conséquent faire abstraction d’un questionnement au moins pragmatique, sur le type d’élections que l’on s’apprête à organiser et le climat politique et social qu’elles sont susceptibles d’engendrer. Quelle serait en effet, dans un pays où les populations peinent à satisfaire leurs besoins élémentaires, l’utilité d’injecter des sommes colossales dans l’organisation d’élections qui seraient fort probablement boycottées par un pan aussi important du paysage politique qu’est l’opposition, et dont les résultats seraient inévitablement marqués par le sceau du désaccord ?
La CENI et le gouvernement, ainsi que tous les acteurs impliqués dans le processus électoral nigérien, sont donc, d’une certaine manière, à la croisée des chemins. Ils ont, individuellement et collectivement, le choix entre deux options principales. L’option qui consisterait à inscrire les élections de 2021 dans la continuité des scrutins de 2016 d’une part et, d’autre part, celle qui renouerait avec les scrutins exemplaires que le pays a connus et qui ont fait des émules dans la sous-région. Il ne reste plus dès lors qu’à espérer que, pour l’intérêt suprême de la Nation, la légitimité des élus, la gouvernabilité des institutions et le renforcement de la cohésion sociale, les uns et les autres œuvrerons pour le courageux et patriotique choix de la seconde option, favorable à l’organisation des élections libres, transparentes, inclusives, apaisées et apaisantes.
Vivement…
Elisabeth Shérif