ANALYSE – OPINIONS : Que ces temps difficiles nous amènent à des réflexions profondes sur notre politique d’habitat et de construction d’infrastructures


En ces semaines critiques d’inondations qui ruinent nombre de nos familles dans tous les coins du pays et qui nous endeuillent, est-il temps pour nos gouvernants de réfléchir sur des solutions de promotion de l’habitat et des infrastructures.

C’est connu, le Niger est le pays le moins doté d’infrastructures dans notre sous-région. A côté des autres capitales, Niamey fait figure de ville de province. Je ne parle pas de nos campagnes dont la désolation se voit à 15 km déjà en sortant de la capitale, avec des paillottes qui se rappellent à la mémoire des technocrates qui bombent le torse avec des taux d’une croissance sans développement ne reflètant que leur totale incompréhension du développement.

Longtemps vitrine en matière de routes, le Niger voit son réseau routier se dégrader, comme une fatalité. Pourtant, dans ce pays gorgé de ressources naturelles pour la production de matériaux de construction, il y a bien des solutions pour relever les défis du renouvellement des infrastructures.

Je m’en vais en citer parmi les plus basiques, pour peu que nos gouvernants se donnent la peine de changer de paradigme.

1. PRODUIRE ABONDAMMENT DU CIMENT

Selon un rapport du BRGM (France), « un mélange susceptible de fournir après cuisson un clinker « Portland » peut être réalisé à partir d’un large éventail de matières premières ».

La liste suivante indique celles qui se trouvent les plus couramment utilisées pour produire du ciment :

• Calcaire ;
• Calcaire marneux ;
• Marbre ;
• Marbre siliceux ;
• Argile commune ;
• Argile sableuse ;
• Schiste métamorphique ;
• Shale ;
• Silt ;
• Sable ;
• Grès ;
• Quartzite ;
• Minerai de fer ;
• Bauxite ;
• Charbon.

Le Niger possède abondamment et dans plusieurs régions, tous ces matériaux à ciment.

Le ciment, toujours selon le BRGM, est une denrée de proximité qui doit être consommée dans un rayon maximum de 150 km autour de l’usine de production. Au-delà de 150 km, le ciment perd de sa compétitivité eu égard au coût de son transport. C’est en tout cas la norme en Europe et en Amérique. Et selon cette norme occidentale, le ciment de Malbaza est simplement destiné à Konni, Madaoua, Illéla, Bouza, Keita, Tahoua, etc., en tout cas pas à Niamey.

Il faut donc multiplier les cimenteries de manière à en doter au moins chaque région. Mesurons en tout cas notre irresponsabilité en acceptant depuis des décennies d’importer du ciment des pays voisins, alors que tous importent du clinker espagnol, portugais et marocain pour le produire.

J’ai maintes fois dit qu’il est possible pour le Niger d’offrir du ciment à ses citoyens à 1500 FCFA le sac. Avec des réserves de calcaire de l’ordre de centaines de milliards de tonnes (c’est un chiffre officiel), du gypse, du charbon pour une énergie abondante et tous ces matériaux à ciment cités plus haut, rien ne nous manque pour le faire, en dehors de la volonté politique.

Il reste à multiplier les cimenteries pour abaisser le prix de la tonne et permettre aux Nigériens de construire leur habitat et à l’Etat de reconstruire les routes et les ouvrages d’art sur la base de normes plus rigoureuses.

2. PRODUIRE DE L’ACIER

Le Niger possède assez de fer pour inonder la planète entière avec des armatures de béton et divers profilés et feuilles pour le bâtiment. Les gisements de Dogal Kaina (Say) et de divers gîtes de l’Ader-Doutchi (Galmi, Malbaza, Djibalé, Tamaské, In Wagar, etc.) peuvent être valorisés dans la production d’acier du bâtiment exportable au demeurant dans toute la sous-région.

3. PRODUIRE DES CERAMIQUES

L’industrie du bâtiment consomme beaucoup de carrelages, faïences et sanitaires. Tout cela se fait avec de la kaolinite qui se trouve en centaines de millions de tonnes de Niamey à Youri, Tiloa, Gogaré et Say. Et pour ceux qui pensent que tout cela est bien loin, qu’ils empruntent la Corniche de Niamey pour remarquer que sous l’Hôpital, le Grand Hôtel et le palais du gouvernorat, cette roche blanche est de la bonne kaolinite appartenant au même gisement de Say isolé par le fleuve.

Mais la surprise vient de Bounga (Makalondi), un village anonyme qui a pour sa part de la kaolinite du plus pur faciès au monde. Je vous livre à ce propos un curieux « échange » entre deux spécialistes français à travers le temps, l’un pédologue, l’autre géologue :

• Selon Gavaud (1975) dans son « Sols et pédogenèse au Niger méridional, tome 1 », l’analyse aux rayons X de l’échantillon 116 correspondant à la colline de Bounga (Makalondi) a donné 10/10 de kaolinite et des traces d’illite altérée dans la fraction argileuse.
• Des analyses de géologues (Ducellier, 1958) sur les granites de cette région géologique concluent une kaolinisation très poussée, ne laissant subsister que de faibles quantités de minéraux transitoires (illite) ou résiduels.

Coordonnées du site :

• Latitude : 12° 42′ 30″ N ;
• Longitude : 1° 37’ 3’’ E,
• Côte : 305 mètres au sommet
• A 17 km au Sud-0uest de Makalondi et à 40 km à l’ouest de la falaise des grès.

Cette kaolinite de Bounga est donc pure à 100%. Son prix sur le marché international est de 1200 EUROS la tonne, car une telle pureté est sollicitée non pour des carrelages, mais pour les industries alimentaires, pharmaceutiques et de charges pour le papier et la peinture.

Nakoni (Madaoua) en possède aussi de la bonne kaolinite.

4. ROCHES A GRANULATS

Il est connu que le coût de construction du kilomètre de route peut doubler tous les 50 km si les sites de granulats ne sont pas densément implantés. Le pays est doté de multiples horizons de roches à granulats. En parcourant le Plan Minéral de 1984 on peut en effet relever comme sites :

• Téra-Fonéko-Dibilo ;
• Doundiel et Doumba (Téra) ;
• Gassa (Tillabéri) ;
• Firgoun-Ayorou ;
• Tondibia ;
• Kirtachi ;
• Nielwa et Doufoumbara (Dan Isa) ;
• Alluvions à galets d’un gisement de plusieurs dizaines de mètres d’épaisseurs sur plusieurs centaines de km2 à Maradi ;
• Bargouma (Zinder) ;
• Gouré ;
• Nériman et Jajiri (Nguel Beyli) ;
• Basaltes du nord du massif du Termit ;
• Roches métamorphiques de Tafourfouzète, Azanguérène et Serchouf dans le massif de l’Aïr ;
• Regs de Sekiret, Teguidda in Tagaït, plaine d’Idekal (au Sud du Tarrouadji), au Sud d’Agadez ;
• Regs de la bordure occidentale de l’Aïr (grès et quartzites du Tégama) ;
• Eboulis de pentes au Djado ;
• Etc.

5. IMPLANTER UNE INDUSTRIE POUR VALORISER LES SABLES EN VERRERIE

Le désert du Tal dans la région de Diffa possède un gisement de sable de grande pureté de l’ordre de 99,37% en moyenne, avec des réserves estimées à 750 millions de tonnes. Ce site peut accueillir une industrie pour produire des vitres du bâtiment et des bouteilles et flacons pour les industries.

Plusieurs sites de sables siliceux sont également répertoriés dans le Plan Minéral, dont Gazaoua, Maradi, Birni Ngaouré, Margou, etc.

6. CREER DES ENTREPRISES PUBLIQUES POUR LES ATTELER A LA CONSTRUCTION DE NOS ROUTES

Le Niger ne reconstruira pas ses routes avec un prix au km de route bitumée loin au-dessus de sa réalité. Le secteur privé, local ou étranger, ne peut être le meilleur partenaire de l’Etat dans la construction d’infrastructures.

Je suggère de créer des entreprises publiques, au moins trois, qui construiront en régie les routes, les ouvrages d’art et les grands bâtiments. Le facteur énergie étant essentiel dans la construction des routes, un pays qui produit du gas-oil ne doit pas faire de la rubrique un souci majeur. En équipant les nouvelles entreprises avec des engins de BTP achetés en Chine, on peut espérer construire le kilomètre de route à 50-60 millions FCFA au lieu des 100, 200, 300 et même 500 millions facturés au kilomètre pour ces « pistes » de médiocre qualité par lesquelles le Niger fut financièrement saigné.

En tout cas on ne comprendra pas que des acteurs étrangers continuent à construire nos routes, dès lors que le financement ne vient plus de leurs pays. C’est ce que j’ai cru comprendre au concept de souveraineté nationale.

J’invite nos techniciens du secteur à cette réflexion.

Ali ZADA

• Expert en politiques publiques
• Enseignant à Swiss Umef University de Niamey