Résumé du rapport du panel indépendant de haut niveau sur la sécurité et le développement au Sahel – Addis Abeba le 21 Octobre 2024


 

𝗘𝘅𝗰𝗲𝗹𝗹𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗠𝗼𝗻𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿 𝗔𝗻𝘁𝗼𝗻𝗶𝗼 𝗚𝘂𝘁𝗲𝗿𝗿𝗲𝘀, 𝗦𝗲𝗰𝗿𝗲́𝘁𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗚𝗲́𝗻𝗲́𝗿𝗮𝗹 𝗱𝗲𝘀 𝗡𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀-𝗨𝗻𝗶𝗲𝘀𝗘𝘅𝗰𝗲𝗹𝗹𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗠𝗼𝗻𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿 𝗠𝗼𝘂𝘀𝘀𝗮 𝗙𝗮𝗸𝗶 𝗠𝗮𝗵𝗮𝗺𝗮𝘁, 𝗣𝗿𝗲́𝘀𝗶𝗱𝗲𝗻𝘁 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗖𝗼𝗺𝗺𝗶𝘀𝘀𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲 𝗹’𝗨𝗻𝗶𝗼𝗻 𝗔𝗳𝗿𝗶𝗰𝗮𝗶𝗻𝗲,𝗘𝘅𝗰𝗲𝗹𝗹𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗠𝗼𝗻𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿 𝗢𝗺𝗮𝗿 𝗔𝗹𝗶𝗲𝘂 𝗧𝗼𝘂𝗿𝗮𝘆, 𝗣𝗿𝗲́𝘀𝗶𝗱𝗲𝗻𝘁 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗖𝗼𝗺𝗺𝗶𝘀𝘀𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗖𝗘𝗗𝗘𝗔𝗢,

𝗠𝗲𝘀𝗱𝗮𝗺𝗲𝘀 𝗲𝘁 𝗠𝗲𝘀𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿𝘀 ,

Le présent rapport était prêt et devrait vous être présenté depuis un an. Les évènements intervenus au Niger le 26 Juillet 2023 n’ont pas permis de respecter cet agenda.

Permettez-moi de rappeler que le Panel de Haut niveau sur la sécurité et le développement au Sahel a été lancé en Septembre 2022. Permettez-moi également de rappeler que le Panel est constitué de personnalités bien connues : Dr Donald Kaberuka, Dr Mohamed Ibn Chambas, Leila Zerrougui et Sohoyata Maiga que je salue et remercie pour leur engagement dans cette mission. C’est le lieu de signaler la contribution determinante de 2 membres du Cabinet du Panel : le Général de Brigade Cheick Dembele et le Professeur Tidjani Alou Mahaman Sanoussi.

A votre demande, ce Panel a eu pour mission de procéder à une évaluation stratégique sécurité-développement au Sahel.

Le cadre géographique de cette évaluation est constitué de 18 pays : trois pays du Maghreb (Algérie, Libye et Mauritanie), 13 pays de la CEDEAO (hors Libéria et le Cap Vert) et deux pays de l’Afrique Centrale (Cameroun et Tchad). Le Panel a décidé de dénommer ce cadre : Sahel Géopolitique (S.G). Il s’étend des rives sud de la Méditerranée au Golfe de Guinée et de l’Atlantique au bassin du lac Tchad.

Les pays du S.G partagent les mêmes défis. Le Panel a estimé, dès le début de sa mission, que les solutions à ces défis sont plus politiques que Techniques. Aussi, le Panel a-t-il entrepris une évaluation stratégique inclusive et participative, comprenant des consultations politiques approfondies, plusieurs forums thématiques régionaux et des missions techniques sur le terrain, effectuées par une équipe de dix experts africains, indépendants, principalement issus de la région qui, par ailleurs, ont eu accès à une documentation abondante. Le Panel a également eu recours à un vivier d’une trentaine de personnes ressources, majoritairement de la région. Le rapport que nous avons l’honneur de vous présenter aujourd’hui est par conséquent le fruit du travail d’une équipe pluridisciplinaire.

Ce rapport procède à un examen du contexte international caractérisé par une mauvaise gouvernance politique et économique mondiale, un recul du multilatéralisme, des tensions géopolitiques et géostratégiques, l’aggravation des inégalités et de la pauvreté qui touche la moitié de l’humanité, ce qui rend difficile la réalisation des Objectifs du Développement Durable (ODD) ; du contexte continental et régional marqué par la mise en œuvre de l’agenda 2063, notamment de ses projets phares comme la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAf), les crises sécuritaires dans nombre de régions du continent. Il examine ensuite la situation actuelle et les risques majeurs auxquels la région est confrontée, fait ressortir que le Sahel Géopolitique connaît une crise complexe et multidimensionnelle depuis plus d’une décennie, crise qui touche à la sécurité humaine, c’est-à-dire, à la fois à la gouvernance, à la sécurité physique et au développement socio-économique. Le rapport est structuré de manière classique.

Le fil de la trame de ce rapport est le Sahel 2.0, le Sahel que nous voulons en 2063. La gouvernance, la sécurité, le développement et la mobilisation des ressources en constituent le fil de chaîne. Le Panel examine ces 4 piliers de manière détaillée. Il serait fastidieux d’en faire un exposé exhaustif dans le cadre de la présente cérémonie.Permettez-moi juste d’indiquer que :Le Panel confirme l’évaluation du rapport Mo Ibrahim sur la gouvernance en Afrique, rapport qui constate que le progrès dans le développement humain et économique en Afrique est freiné par un recul généralisé de la démocratie. La majeure partie du continent est moins sûre et moins démocratique qu’elle ne l’était en 2012.

Ce constat est plus vrai pour les pays du Sahel Géopolitique où la fréquence des coups d’Etat est plus grande que partout ailleurs en AfriqueLa dégradation de la situation sécuritaire sur laquelle le Panel s’est longuement appesantie, est liée à la mauvaise lecture de l’espace du Sahel géopolitique, l’insuffisance du financement et l’insuffisance de la coopération régionale.Les résultats obtenus en matière de développement sont mitigés en dépit des atouts de la région : IDH faible pour la plupart des pays du Sahel géopolitique, faible valorisation du capital humain, sous-équipement en infrastructures, faible modernisation et diversification de l’économie, échange inégal, sous-financement de l’économie, etc. C’est le lieu de rappeler que le narratif habituel pour expliquer la pauvreté, met principalement l’accent sur les causes endogènes (démographie, mauvaise gouvernance), occultant les causes exogènes (échange inégal, architecture financière internationale inéquitable.) La mobilisation des ressources interne et externe est insuffisante du fait du faible taux de pression fiscale, une insuffisance des financements concessionnels et une architecture financière internationale inéquitable.

Après avoir évalué l’intervention des partenaires au niveau de chacun des quatre piliers, le rapport du Panel fait une évaluation générale de la vingtaine des stratégies conçues et mises en œuvre au Sahel comme il suit :La plupart des stratégies des partenaires du Sahel ont été conçues dans l’urgence, suite aux crises en Libye et au MaliLes partenaires n’ont pas la même définition du Sahel. Le Sahel des Nations-Unies, comprenant dix pays (Burkina Faso, Cameroun, Gambie, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria, Sénégal et Tchad) est différent de celui de l’UE qui coïncide avec le G5-Sahel.

Le cadre géographique d’intervention de chaque partenaire dépend de la vision qu’il a de ses intérêts. Les stratégies convergent généralement vers les principaux domaines suivants : la sécurité, le développement et la résilience (y compris les infrastructures), la gouvernance et l’éducation car dans les zones où le développement est insuffisant la présence des groupes armés tend à être plus forte,On note dans la plupart des cas l’absence des projets structurants et l’absence d’alignement sur les stratégies nationales, régionales, et continentalesIl est un fait que le Sahel est l’une des régions les plus jeunes du monde. Néanmoins, l’attention portée à cette dynamique démographique n’a pas été accompagnée des investissements suffisants dans l’éducation et la santé, en particulier pour les femmes et les filles, afin de permettre à la région de bénéficier de dividende démographique.

Cela s’est accompagné d’une transformation limitée des économies, qui bien qu’elles soient riches naturelles (or, uranium, pétrole, gaz, coton, café, cacao etc…) continuent de fonctionner au niveau le plus bas de la chaîne de la valeur mondiale, limitant les opportunités de création d’emplois et de développement inclusif de la région. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions que le Sahel soit l’une des plus grandes sources de migrants en Afrique.Toutes les stratégies n’ont pas de plans d’action ni de mécanismes de suivi-évaluationIl a existé un problème de cohérence entre les instruments de long terme (développement, renforcement des capacités, gouvernance, éducation) et de court terme (questions humanitaires) avec des effets d’éviction des uns aux dépens des autres ainsi qu’entre les approches étroites de «bottes sur le terrain » et les éléments de financement essentiels à l’élimination de la radicalisation.

Cela est révélateur de la concurrence pour l’accès à des ressources insuffisantes face aux besoins.Pour éviter la concurrence entre stratégies ainsi que des redondances et autres dispersions des efforts, une plate-forme de coordination ministérielle a été mise en place en 2013 n’a pas fonctionné effectivement. Puis il fut mis en place, à partir de 2017, l’Alliance Sahel qui regroupe les partenaires au développement, le P3S en 2019 pour la sécurité et la Coalition Sahel en 2020 qui englobe les quatre piliers portant sur la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités des Etats du G5 Sahel, l’appui du retour de l’Etat et des administrations sur le territoire et l’aide au développement

Les stratégies disposent de plusieurs catégories d’instruments : aide financière au développement sous forme de dons, de prêts, d’appuis budgétaires ou sectoriels, de programmes, de projets, l’aide humanitaire, la formation et le renforcement des institutions étatiques et de la société civile. Il est signalé, selon les procédures des problèmes d’absorption des ressources qui viennent s’ajouter à ceux des faiblesses des capacités des Etats. L’écart entre les promesses, les engagements et les décaissements, est une caractéristique commune de l’aide internationale. Elle représente généralement un élément de double comptage, de sur-prescription des bailleurs de fonds, de procédures complexes, de manque d’harmonisation et de faible appropriation par les pays bénéficiaires. Il existe de nombreuses preuves que cela a été le cas dans le Sahel La dépendance envers les financements extérieurs peut créer des défis, en terme de souveraineté surtout que, sous prétexte de mauvaise gouvernance des Etats, même les partenaires publics passent par l’intermédiaire d’ONG pour l’exécution des projets qu’ils financent. C’est la gouvernance hybride qui fragilise les Etats des pays bénéficiaires dont la stabilité, la crédibilité et la légitimité sont progressivement érodées

En conclusion, l’évaluation stratégique montre que les stratégies et actions des Etats et de leurs partenaires ne sont pas à la hauteur des défis de gouvernance, de sécurité, de développement et de financement auxquels les pays du SG sont confrontés. Le SG est une zone d’incertitude politique, sécuritaire, climatique, sociale et économique.

Les risques d’une détérioration significative supplémentaire sont réels. Les scénarios futurs possibles, si le statu quo est maintenu, sont les suivants : -l’expansion du contrôle par des groupes armés terroristes et criminels sur des portions encore plus vastes de territoire, y compris le Golfe de Guinée, avec la possibilité de capture des ressources stratégiques dans certains Etats, et de mise en danger ou de paralysie des routes internationales de commerce terrestre, aérien et maritime

-La rétraction des Etats de la région, gravement affaiblis, de plus en plus confinés dans les principaux centres urbains, où les autorités nationales pourraient encore avoir une certaine forme de contrôle sécuritaire et une garantie de fournitures limitées de services publics (le fameux Syndrome de Kaboul) -Le déplacement massif des populations depuis les zones rurales insécurisées, principalement vers les périphéries des grandes villes entraîne une ghettoïsation subséquente et une forte hausse de la « criminalité urbaine » ;

-Les conséquences de la surpopulation urbaine et du chômage endémique, en particulier parmi les jeunes peu éduqués et peu qualifiés, très réceptifs à la manipulation politique, à l’instrumentalisation identitaire et à l’endoctrinement par certains chefs religieux, qui ne condamnent pas explicitement la violence religieuse extrémiste. Cela pourrait conduire à une convergence entre les groupes terroristes armés et les sympathisants urbains, entraînant la prise de contrôle des institutions de l’Etat, même sans combat.

-De nouveaux revers dans le processus et systèmes démocratiques de la région, avec plus de tentative de changements inconstitutionnels de gouvernement et d’usage de la force pour accéder au pouvoir. Cela conduirait à une érosion totale de la crédibilité, du moins dans les perceptions populaires, des Etats et des organisations régionales telles que la CEDEAO, la CEEAC, l’UA et l’ONU. Ainsi risque de s’installer une méfiance grandissante envers l’Architecture internationale et régionale, avec l’échec croissant des cadres normatifs régionaux et internationaux et la dépendance à l’égard de solutions palliatives à court terme, telles que l’utilisation de groupes locaux d’autodéfense, de forces agissant par procuration ou de sociétés privées internationales ;

-Le Sahel devient de plus en plus une menace manifeste pour la paix et la sécurité internationales. Les zones abandonnées par les Etats servent de zones refuges pour planifier et préparer des prises d’otages à plus grande échelle et des attaques terroristes internationales, ciblant notamment l’Europe.

Cette situation s’accompagnerait d’une augmentation significative de l’immigration illégale, rendant encore plus futiles toutes les mesures de rétention ou de dissuasion ;

-Donc, si rien n’est entrepris, il est probable que les Etats Sahéliens connaissent une insécurité grandissante, une fracture sociale croissante, une pauvreté et des inégalités qui se creusent avec le risque, pour certains, de disparaître sous leur forme actuelle.

Par conséquent, le statu quo n’est pas acceptable. En sortir exige un nouveau pacte fondé sur un nouveau paradigme, une vision et des objectifs qui reflètent les aspirations profondes des populations de la région.

Sur la base de l’évaluation stratégique ci-dessus, le Panel fait les recommandations suivantes portant sur:

-le cadre géographique
-la vision
-quatre piliers : la gouvernance, la sécurité, le développement, le financement et le partenariat.

1. Cadre géographique
Le cadre géographique est celui du Sahel Géopolitique comprenant les 18 Pays cités plus haut.

Le Sahel Géopolitique, c’est 528 millions d’habitants en 2023 et 939 millions en 2050 avec un PIB de 993 milliards de dollars en 2022, et doté de ressources naturelles abondantes. Il s’agit d’un espace continu, en dépit des discontinuités apparentes, qu’il faut lire surtout dans sa verticalité Nord-Sud

2. Vision : le Sahel 2.0
Le Panel a établi une formule de l’émergence et du développement qui permet de déterminer la durée au bout de laquelle un pays se trouve dans l’intervalle de l’émergence ou du développement en fonction de la croissance de son PIB par habitant. A contrario, une autre formule permet de calculer, à partir d’une durée fixée à priori, le taux de croissance du PIB par habitant nécessaire à l’émergence ou au développement.

La durée choisie par le Panel est de 39 ans avec pour horizon 2063, année du centenaire de la création de notre organisation continentale. Selon les pays, il y a une grande dispersion des taux de croissance du revenu par habitant nécessaires, pour parvenir à l’émergence à cette échéance.

La vision proposée par le Panel est celle, à l’horizon 2063, d’un Sahel 2.0, un sahel émergent, c’est-à-dire un Sahel caractérisé par : la bonne gouvernance politique et économique ; la stabilité politique assurée par des Etats visionnaires, stratèges et capables ; le silence des armes ; une transition démographique engagée et accomplie ; une transition climatique et énergétique réussie ; une forte croissance économique inclusive soutenue par une économie diversifiée ; une urbanisation rapide ; une large classe moyenne capable d’occuper des emplois intermédiaires dans les services et l’administration, de contribuer à la stabilité politique et de soutenir la croissance economique. La gouvernance, la sécurité, le développement durable et la mobilisation des ressources constituent les quatre piliers sur lesquels reposera la rupture que nécessitera la réalisation de cette vision. A court terme, il faut s’attaquer aux crises sécuritaires et humanitaires mais il n’y a pas de solution rapide pour les questions de gouvernance et de développement qui relèvent du long terme.En conséquence le Panel formule les recommandations suivantes :

3. La gouvernance
La gouvernance est au cœur de toute stratégie Sahel 2.0. Elle est transversale. D’après l’étude Sahel 2043 de la CEA, la gouvernance est le pilier décisif. C’est elle qui doit garantir la stabilité sur au moins deux générations. C’est l’ODD numéro 16 relatif à la justice et les institutions fortes Les recommandations du Panel portent notamment sur :

Au niveau nationalles institutions et leur stabilité, sur le renforcement des capacités de l’Etat, notamment la capacité de lever l’impôt, d’absorber les ressources, d’optimiser l’efficacité de la dépense, une administration dépolitisée gérée non pas dans le cadre du système de dépouille mais dans le cadre du système de mérite, Renforcement de la gouvernance démocratique : institutions fondées sur l’ordre, la liberté et l’égalité, partis politiques structurés, forts et stables, allégeance directe du citoyen à l’Etat (lutte contre le communautarisme), préservation et renforcement de l’espace civique, importance des médias, inclusion des femmes et des jeunes, élections libres et limitation des mandats en fonction des spécificités des pays, chaque fois que cela apporte une valeur ajoutée. Le Panel recommande, chaque fois que la situation l’exige la mise en place de coalitions, les plus larges possibles, voire des gouvernements d’union nationale pour créer les conditions de la stabilité des institutions et la mobilisation collective dont les sociétés sahéliennes ont besoin.La fin de la gouvernance hybride et le renforcement de la souveraineté des Etats : tous les acteurs qui offrent des services aux populations doivent le faire en relation avec l’EtatUne bonne gouvernance locale avec un transfert effectif de certaines compétences (éducation, santé, eau, environnement) et des ressources correspondantes aux collectivités territoriales ;

 

Au niveau régional et continental

Les communautés économiques régionales et l’organisation continentale sont formellement à la fois des communautés d’appartenance (solidarité, intérêts communs) et des communautés de référence (valeurs partagées).

Le Panel recommande :
-Une mise en œuvre intelligente et effective du pilier gouvernance des stratégies, pour le Sahel, des communautés économiques régionales et de l’UA.
– Un soutien accru à la stabilité des Etats et à l’alternance à travers une approche différentiée de la question de la limitation des mandats en tenant compte pour un pays donné des avantages (facilitation de l’alternance, renforcement de l’Etat de droit, contribution à la stabilité, rotation des élites au pouvoir, élections plus compétitives etc…) et des inconvénients (restriction de la souveraineté populaire, restriction de la sanction populaire, affaiblissement de la fonction présidentielle au cours du dernier mandat)-La mise en œuvre de la stratégie africaine de la gouvernance des frontières-Une implication plus forte de l’UA dans le règlement de la crise qui secoue la CEDEAO. Il faut restaurer la confiance entre celle-ci et l’AES et engager un dialogue dans l’intérêt des peuples de la région-De lire l’espace qui s’étend de la rive sud de la Méditerranée au Golfe de Guinée en passant par le Sahara et le Sahel géo-climatique et de l’Atlantique au bassin du lac Tchad comme un espace géopolitique et géostratégique unique et en tirer les conséquences institutionnelles; Au niveau de la gouvernance mondiale

Le Panel recommande entre autre ;
– une gouvernance politique mondiale plus démocratique qui, seule, évitera au Sahel géopolitique d’être victime collatérale de décisions comme celle qui a conduit à l’intervention de l’OTAN en Libye. Dans cette perspective, le Panel considère que le consensus d’Ezelwini est une bonne base pour entreprendre une telle réforme.

-un soutien massif au renforcement des capacités des Etats

– le respect de la souveraineté des Etats par les partenaires publics et les ONG dans leur intervention. Il faut mettre fin à la gouvernance hybride. Les stratégies d’intervention des partenaires doivent accompagner les Etats et non les concurrencer.

4. La sécurité
La sécurité est un bien public mondial. Elle constitue un défi qu’il faut relever à court terme si l’on veut réaliser la vision Sahel 2.0 à l’horizon 2063. L’objectif est le silence des armes. Cet objectif peut être obtenu en trois étapes : la stabilisation, la construction de la paix et la consolidation de la paix (ODD16).La dégradation de la situation impactera toute la région et au-delà. Face à une menace transnationale la riposte doit être transnationale. Une refonte de la coopération régionale est indispensable. Par conséquent le Panel recommande aux Etats, aux organisations régionales et à l’Union Africaine :

– L’abandon du recours aux initiatives ad ’hoc et la mise en place d’une Communauté Sahélienne de Sécurité Collective qui serait une variante du Processus de Nouakchott, ce qui permet un alignement sur l’Architecture Africaine de Paix et Sécurité (APSA) dont les réformes en cours doivent être encouragés. La présence de deux pays pivots dans cette communauté, le Nigeria (qui a permis la réussite de la Force Multinationale Mixte grâce à son financement) et l’Algérie (dont la lutte contre le terrorisme peut inspirer la région) est un gage de reussite.

– La mise en place de trois zones : la zone orientale comprenant le Cameroun, la Libye, le Niger, le Nigéria et le Tchad ; la zone centrale comprenant l’Algérie, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger ; la zone côtière comprenant le Sénégal, la Gambie, la Guinée Bissau, la Guinée Conakry, la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin

– La définition d’une stratégie de lutte contre le terrorisme et le crime organisé à l’échelle du théâtre que constitue l’espace du SG avec des déclinaisons au niveau des zones et au niveau national

– de prendre en charge leur sécurité en consentant un effort de guerre à hauteur de 3% de leur PIB dont 2,8% seront affectés au renforcement des capacités opérationnelles et de renseignement des forces de défense et de sécurité nationales et 0,2% aux forces conjointes de la Communauté, permettant une mutualisation des ressources face au péril commun. Sur la base du PIB 2022 de la région, soit 993 milliards de dollars, environ 30 milliards de dollars pourront ainsi être consacrés à la sécurité. Cela ne devrait en aucune façon entraîner un effet d’éviction sur les dépenses consacrées au développement économique et social comme nous le verrons plus loin. Par ailleurs, la criminalisation du Jihad aux dépens de la dimension religieuse, dans cette guerre d’attrition, est une chance pour les Etats si ces derniers arrivaient à disposer de ressources suffisantes.

-Mettre la protection des civils au cœur des politiques et définir des stratégies de sécurité nationale et collective dans le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire ;

-S’attaquer aux causes de l’insécurité : défis de gouvernance, défis socio-économiques notamment s’assurer la présence des Etats sur tous les territoires, articuler et synchroniser les efforts militaires et civils, lutter contre la pauvreté, garantir l’équité dans l’accès aux ressources, établir des cadres de dialogue et réconciliation ;

-Réformer structurellement le secteur de la défense et de la sécurité ;

-Eviter de recourir aux groupes d’autodéfense afin d’empêcher la transformation de la lutte contre le terrorisme en conflits intercommunautaires et renoncer au recours aux mercenaires conformément aux dispositions de la convention sur le mercenariat en Afrique cette liste des recommandations sur la sécurité au niveau national n’est pas exhaustive.Au niveau international, le Panel recommande :

-de rendre plus démocratique la gouvernance sécuritaire mondiale à travers une réforme du Conseil de sécurité des Nations-Unies comme indiqué plus haut

– que la sécurité soit considérée comme un bien public mondial. A ce titre les dépenses de sécurité des pays du Sahel ne doivent pas être prises en compte dans le calcul des déficits budgétaires des Etats -De repenser les instruments internationaux de lutte contre le terrorisme et de manière générale de reconfigurer les missions des Nations-Unies en tirant les leçons des échecs passés, en adaptant les missions des Nations-Unies aux nouvelles menaces – la mise en œuvre effective, au Sahel, de la résolution 2719 des Nations-Unies du 21 Décembre 2023 sur le financement des opérations de soutien à la paix menée par l’UA

-de trouver, en rapport avec l’UA, une solution de sortie de crise en Libye ainsi qu’au Soudan et en République Centrafricaine

-de promouvoir, dans le respect de la souveraineté des Etats, une coopération Nord-Sud entre la Méditerranée et le Sahel avec comme éléments fédérateurs la sécurité et la migration

5. Dans le domaine du développement L’évaluation stratégique a montré qu’en dépit d’un important capital humain et des ressources naturelles abondantes, certains pays du SG ont les taux de pauvreté parmi les plus élevés du monde. Pour réaliser la vision Sahel 2.0 à l’horizon 2063, pour que les pays de la région soient dans l’intervalle de l’émergence il faut, pour la plupart d’entre eux, une augmentation du PIB par habitant élevée, ce qui suppose une transition démographique rapide et une forte croissance économique. La valorisation du capital humain et la transformation des ressources naturelles sont au centre de cette problématique.

Les calculs montrent, qu’en moyenne, le SG sera émergent avec une augmentation moyenne du revenu par habitant de 2% par an, ce qui est largement possible si la région réalisait un taux de croissance économique moyen annuel de 7%, correspondant à celui adopté dans l’agenda 2063.

Sur la base de ces hypothèses, le Panel recommande :

-une transition démographique rapide, ce qui suppose des investissements massifs dans l’éducation et la formation (au moins 25% des ressources budgétaires) ainsi que dans la santé, notamment la santé de la reproduction,

-l’éducation (ODD4) gratuite et obligatoire jusqu’à la fin du second cycle du secondaire. Une attention toute particulière doit être portée à la scolarisation des jeunes filles et leur maintien à l’école jusqu’à l’université,

-investir dans la santé (ODD3) et les autres secteurs sociaux de base : eau et assainissement (ODD6), énergie etc…. -Réduire les inégalités et assurer l’équité dans l’accès aux ressources notamment pour les femmes et les jeunes (ODD5 et 10). L’accès des femmes et des jeunes aux emplois est d’une urgente priorité,

– Améliorer, notamment par la promotion d’une bonne gouvernance, le classement doing business des pays du SG afin d’attirer davantage d’investissements directs étrangers. (y rappeler les besoins) -Promouvoir un secteur privé national, régional et continental dynamique,

– Investir dans les infrastructures (ODD9) du corridor transsaharien (routes, chemin de fer, fibre optique, gazoduc, énergie) et celles des liaisons Est-Ouest (ou Atlantique-Lac Tchad (y compris le corridor côtier) pour créer les bases de la compétitivité des économies du SG. Par ailleurs, ces projets doivent s’aligner sur ceux de l’agenda 2063 (par exemple le réseau Africain de trains à grande vitesse) et ceux des CER qui touchent aux pays du SG. Il est vital pour les pays de la région de réduire les coûts de deux facteurs : le transport et l’énergie (ODD7)

– Pour vaincre la pauvreté (ODD1) qui est essentiellement rurale et féminine dans beaucoup de pays du SG, il faut retenir le secteur rural comme point de départ, y investir 15% des ressources budgétaires (les ambitions de Maputo étaient à 10%) pour amorcer un développement économique et social profitable à l’écrasante majorité de la population et contribuer à réaliser la souveraineté alimentaire (ODD2) et secréter des excédents destinés aux unités agro-industrielles et aux exportations. Les pays de la région doivent veiller à l’exploitation des 80% de leur potentiel irrigable non encore mis en valeur. Les femmes et les jeunes doivent être au centre de ces transformations

– Retenir le climat comme bien public mondial (ODD13), réaliser l’adaptation, mettre en œuvre les Condition Déterminées au niveau National (CDN) et porter les questions de désertification et de biodiversité au même niveau de priorité que le changement climatique, accélérer la mise en œuvre des projets phares de l’agenda 2063 comme la Grande Muraille Verte et le transfert des eaux d’Afrique centrale vers le lac Tchad,

– Sortir de l’échange inégal et porter le taux d’industrialisation à au moins 25% du PIB, en créant des chaînes de valeur agricoles et pastorales (cacao, coton, abattoir, laiterie, par exemple), minières et pétrolières. Les pays du S.G, riches en ressources naturelles doivent sortir du pacte colonial et se prémunir contre le syndrome hollandais en réinvestissant massivement les recettes générées par les exportations dans la création des chaînes de valeur (ODD9). Cela doit se faire en rapport avec la modernisation de l’agriculture qui libérera une main d’œuvre abondante et peu coûteuse pour le secteur industriel. Cette bascule entre agriculture et industrie doit être gérée avec rigueur. La croissance du secteur industriel doit être rapide et soutenue par des investissements massifs.

-Accélérer le processus d’intégration économique et monétaire au niveau des CER en parachevant la libre circulation des personnes et des biens, la création du marché unique, conformément à la vision 2050 de la CEDEAO et à l’agenda 2063

-Participer activement à l’opérationnalisation de la ZLECAf et à la réforme de l’OMC pour un commerce plus équitable notamment l’abandon des politiques des subventions accordées aux agriculteurs des pays développés – Soutenir la croissance économique en créant une large classe moyenne,

6. Le cadre de financement .

L’évaluation stratégique sécurité-développement a révélé que l’insuffisance du financement est un des maillons faibles face aux défis auxquels les pays du SG sont confrontés. Elle montre aussi la dépendance de la plupart des pays par rapport au financement extérieur. Le Panel estime qu’il faut réduire progressivement, en terme relatif, cette dépendance. Les pays doivent d’abord compter sur leurs ressources propres, l’extérieur devant intervenir en appoint.

Les pays du SG ne sont pas pauvres : ils disposent comme on l’a vu de ressources naturelles abondantes. Nous devons donc abandonner la perception largement partagée d’un Sahel mal doté, changer de paradigme en passant de la gestion de la pauvreté à celle du développement, de l’aide publique au développement à la mobilisation des ressources internes, comme principal instrument de financement du développement.

Sur ces bases, le Panel fait les recommandations suivantes :

a) financement intérieur :
Le financement intérieur doit être massif, loin de ce qu’il est aujourd’hui. Pour ce faire le Panel recommande :

– Que les pays s’approprient leurs ressources naturelles et créent les conditions d’une croissance moyenne annuelle du PIB de 7 % grâce notamment à la restructuration et à la diversification des économies à travers la création des chaînes de valeur

– de Porter progressivement le taux de pression fiscale à 25 % du PIB. Sur la base d’un tel taux, un pays comme le Nigéria aurait pu mobiliser plus de 110 milliards de dollars, en 2022, au lieu de 29,5 milliards de dollars.

L’ensemble des pays de la région aurait pu mobiliser un peu plus de 248 milliards de dollars au lieu de 119 milliards de dollars. Donc il existe un immense gisement de ressources fiscales pour les Etats: il faut être capable de l’exploiter
-de Mobiliser l’épargne intérieure à travers les institutions financières nationales, régionales et continentales compétentes. Pour ce faire l’architecture financière Africaine doit être renforcée à travers notamment la création du Fonds Monétaire Africain (FMA), la Banque Africaine d’Investissement (BAI) et la Bourse Panafricaine des Valeurs.

b) Financement extérieur
Les pays du SG ont besoin de financement concessionnel massif en complément à la mobilisation des ressources internes

Le Panel recommande :

– une conception solidaire de l’économie mondiale qui permet à la fois de lutter contre la pauvreté, dans les pays en voie de développement et contre les effets de la loi des rendements décroissants dans les pays riches. En effet une croissance forte des économies des pays en développement soutient celle de l’économie mondiale qui, à son tour, peut booster la croissance des pays développés. Il faut une politique d’aménagement du territoire à l’échelle mondiale.

-de ne plus séparer l’Afrique au Nord du Sahara de l’Afrique au Sud du Sahara : les institutions internationales comme le FMI et la BM doivent avoir une lecture verticale de la région qui peut favoriser le financement des projets structurants du corridor transsaharien

-de surmonter les insuffisances constatées dans l’évaluation des stratégies des partenaires : concurrence, redondance, absence de lien entre le court terme et le long terme, entre sécurité et humanitaire d’un côté et gouvernance et développement de l’autre, absence de projets structurants, coordination insuffisante etc…..
– que les ressources externes obéissent aux critères suivants : massives, concessionnelles, facilement mobilisables. Cela suppose le renforcement de la capacité d’absorption des Etats ;

– qu’elles obéissent aux règles de bonne gouvernance dans leur destination et dans leur utilisation-une refonte de l’Architecture Financière Internationale pour plus d’équité dans l’allocation des ressources tant en ce qui concerne leur volume et leur coût. En particulier, le Panel recommande la révision de la règle des quotes-parts qui régit la structure des financements et de gouvernance du FMI pour affecter un poids plus important à l’indice de pauvreté. Plus précisément il s’agit d’augmenter les quotes-parts des pays membres qui sont éligibles au Fonds Fiduciaire pour la Réduction de la pauvreté (PRGT)

– d’augmenter le volume des ressources IDA de la Banque Mondiale

-la création d’un climat des affaires pour l’attraction des IDE sans porter préjudice aux capacités des Etats à mobiliser les ressources internes,

-un meilleur encadrement des ressources de la diaspora,- Un pacte international sur la sécurité et la migration.

 

En conclusion il faut retenir que: Le Sahel va mal et le maintien du statu quo n’est pas envisageable. Les Etats, les CER, l’UA, L’ONU et certains partenaires multilatéraux et bilatéraux, en sont, à des degrés divers, responsables Néanmoins les atouts existent (capital humain et ressources naturelles) et le Sahel 2.0 est possible à l’horizon 2063 sous les conditions suivantes :Résoudre à court terme la crise sécuritaire et humanitaire, des régimes politiques démocratiques stables capables de promouvoir une bonne gouvernance, Une transition démographique rapide, Une forte croissance économique, durable avec un Sahel qui n’est plus au bas de la chaine des valeurs mondiale. Une mobilisation massive des ressources internes et de ressources extérieures très concessionnelles dans un contexte nouveau ; celui d’une architecture financière internationale équitable. Il s’agit là de la seule alternative au statu quo. Toute autre mesure ne serait que cosmétique.

Telle est l’économie du rapport de la mission que vous avez bien voulu nous confier sur l’évaluation stratégique sécurité développement au Sahel.

Je vous remercie