SOCIÉTÉ : Le mariage des enfants : une pratique néfaste, des tabous dévoilés et à briser au Niger


 

 

(Niamey- Vendredi 17 Juin 2022) La crainte de l’inceste et des grossesses hors mariage, la protection de la virginité, le renforcement des relations entre famille, le respect des Fondements religieux (interdiction des rapports sexuels hors mariage) etc. sont les raisons les plus évoquées par les parents qui donnent leurs enfants (filles) mineurs en mariage en milieu rural. Nonobstant les avancées du Niger en matière de sensibilisation des Communautés à la base et de plaidoyer auprès des institutions étatiques et non étatiques, le mariage des enfants est une réalité au Niger. Même si une étude récente de l’Institut National de la Statique (INS) a montré une baisse sensible entre 2012 et 2021, où le taux de mariage des filles avant 18 ans est passé de 76% à 65%, la prévalence reste parmi la plus élevée au monde.

Selon les explications de M.  Noaba Kondjoa, Chargé de Programmes à l’ONG CONIPRAT, « Le mariage des enfants est une union effrayante pour la jeune fille mineure parce qu’elle n’est pas physiquement et psychologiquement préparée pour supporter le poids que cette union représente et ses conséquences à court et à long terme…Je pense qu’il nous revient à tous de sensibiliser nos communautés du milieu rural sur les conséquences fâcheuses des mariages d’enfants, de les orienter vers des Activités génératrices de revenus, d’assurer une autonomisation de la jeune fille ….Il est absolument important que la prise de conscience vienne des communautés elles-mêmes pour mettre fin au mariage d’enfants. Et l’espoir d’y mettre fin est permis au regard de l’engagement des plus autorités du pays, de l’implication des acteurs comme les chefs traditionnels, des ONGs et Associations dans la sensibilisation des populations…. ».

Fadila Sadou, mariée 12 ans, Village de Sona (Tillaberi) «  J’ai actuellement 3 mois de séjour à Niamey pour des soins à cause de mes difficultés liées aux urines (Fistules). C’est le médecin du Village qui a orienté mes parents et moi vers l’hôpital de Niamey. Mon mari n’est jamais venu. Depuis lors, je ne me rappelle plus du nombre de fois que nous venions ici et retourner à Sona. Avec le temps, j’ai fini par m’habituer et je viens seule me faire soigner. Je sais que j’ai eu le malaise quand j’avais 12 ans et j’étais à l’école. Depuis, j’avais de mal à rester avec les gens et je suis gênée de les approcher, je faisais pitié mais certaines amies se moquaient de moi au Village, je suis isolée, et je suis moi-même gênée d’approcher les gens au marché, pendant les cérémonies de baptême, mariage ou autour du puits à cause de mes odeurs. Venir à Niamey me fait du bien parce que je trouve à l’hôpital des femmes et des jeunes filles qui viennent de différents localités et qui souffrent de la même maladie…Nous avons sympathisé, les médecins sont accueillants… Je conseille aux parents qui aiment réellement leurs filles de ne pas les marier très jeunes parce qu’ils ne pourront pas imaginer le mal et la douleur que je ressens toutes ces années »

Ce témoignage  est corroboré par M. Alzouma Traoré chargé de programme / ONG SOS Femmes et Enfants victimes de violences : « Entre 2016 et 2020,  notre intervention dans 32 Villages repartis entre les départements de Say, Tera et Torodi (Région de Tillabéri), nous a permis de voir des enfants de 10 à 11 ans qui sont données en mariage avec tous les risques que cela implique et les conséquences que ce type de mariage entraine. La majorité des parents ignorent malheureusement les conséquences d’où l’importance de la sensibilisation ».

Fati Mounkaila, Ouallam (Tillaberi), « Je me suis mariée à 15 ans et je souffre de la maladie de la honte (la fistule génitale) depuis l’année suivant le mariage (à 16 ans)….Je traite cette maladie depuis près de 17 ans aujourd’hui entre Niamey et Ouallam. Je ne pourrais rien faire comme tâches ménagères individuelles ou collectives, mon entourage ne m’associe pas à tout, on me dit pas tout clairement. C’est quand je viens à l’hôpital ou au centre pour les soins que réalise que je vais mieux parce que je rencontre des femmes et des jeunes filles dans un état parfois plus grave que le mien….C’est notre destin la navette entre le village, l’hôpital et le centre d’accueil, nous ne le souhaitions pas à d’autres jeunes filles….Je supplie les parents de laisser les filles grandir avant de les marier ».

Haoua, (Tera), 30 ans « Je me suis mariée à 15 ans et j’ai eu mon bébé à 16 ans. Depuis l’accouchement, je souffrais de cette maladie qu’on croyait sans remède au Village. Au moment du mariage, sincèrement, je ne savais pas qui m’attendait. Et jusqu’ici certains de mes proches ignorent le lien entre mon mariage et ma maladie. Ils pensent que c’est une malédiction. Mon mari m’a soutenu au début de mes souffrances mais au fil du temps je pense qu’il ne me supporte plus et a cessé de m’accompagner aux soins. Mon bébé et moi sommes soutenus par des parents et bonnes volontés pour survivre… (pleurs)».

Pour sa part, Mme Taroré Salamatou, Icone du Niger en matière de Santé de la Reproduction au Niger, affirme : « Le mariage des enfants est une violation grave de leurs Droits fondamentaux…Santé, Éducation, Epanouissement, Vie future meilleure. Le plus irritant dans cette affaire est que cette union est scellée par les parents qui à l’évidence abusent de l’innocence et de l’ignorance de leur propre jeune enfant. L’enfant mariée ignore tout de ce qui l’attendait à l’issue de cette union ». Pour lutter contre cette pratique affectant l’enfant elle a ajouté que : « Nous pensons qu’il faut une véritable prise de conscience des communautés du milieu rural pour mettre définitivement fin à cette pratique. Et c’est possible pour peu que tous les acteurs s’impliquent dans la sensibilisation et la formation des populations rurales sur les conséquences terribles du mariage des enfants. C’est un danger pour la vie présente et future de la fille mais aussi pour toute la société en général, pour preuve les jeunes filles souffrantes de la fistule génitale sont à nos yeux des rescapées de la mort  »

Pour rappel, le Niger détient le record mondial de la pratique du mariage des enfants, avec 3 filles sur 4 mariées avant leur 18ème anniversaire. Ce sont environ 5 millions d’enfants qui sont mariés avant l’âge de 18 ans, des filles pour l’immense majorité. Parmi elles, 1,9 million se sont mariées avant l’âge de 15 ans. Cette pratique néfaste affectant l’enfant persiste en raison de plusieurs facteurs au premier rang desquels la pauvreté, l’ignorance, les fausses croyances et les pesanteurs socio-culturels.

Mohamed Ibrahim / Salamatou Issoufou / Soumana Dodo Nouhou – NIAMEY-SOIR