BANQUE MONDIALE : Une vie meilleure au Sahel est possible


Une vie meilleure au Sahel est possible

 Par Ousmane Diagana, vice-président pour l’Afrique de l’Ouest et centrale, Banque mondiale

« Terre des hommes » par excellence, pour emprunter le nom qu’Antoine de Saint-Exupéry donnait à mon pays, la Mauritanie, la région du Sahel est depuis la nuit des temps un espace de rencontres et de brassage des peuples ; de commerce et d’échanges ; de production et de diffusion de savoirs.

Ce serait donc très réducteur et injuste d’en parler uniquement comme certains le font malheureusement, sous l’angle des défis – réels et multiformes – qui l’assaillent incontestablement. James Wolfensohn, ancien président du Groupe de la Banque mondiale, qui vient de quitter ce monde et aimait particulièrement le Sahel l’avait bien compris : « Il y a tant d’images que nous avons les uns des autres, des idées toutes faites qui nous mettent des œillères et empêchent toute coopération et tout progrès. » Ces mots résonnent encore aujourd’hui quand on entend parler de cette région.

Beaucoup en ont une idée préconçue et n’y voient qu’une longue liste de défis insurmontables. Mais le portrait de cette région ne se réduit pas à ses difficultés et il convient d’évoquer quelques-unes de ses contributions au patrimoine de l’humanité

Notamment, de rappeler que le Sahel est intégré depuis le VIIe siècle dans les échanges commerciaux avec l’Europe et l’Asie. Que les milliers de manuscrits de la Grande bibliothèque de Tombouctou dont certains remontent au XIIIe siècle, enrichissent la mémoire du monde. De ne pas dissocier cette région des œuvres d’art remarquables qu’elle a produites et qui ont trouvé leur place dans les plus grands musées du monde. Enfin, de se souvenir qu’en 1236, la Charte du Mandé énonçait les principes de liberté individuelle et de paix sociale cinq siècles avant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Rappeler ces quelques faits historiques s’impose non pas pour se souvenir d’un passé glorieux, mais pour rappeler que les trajectoires de développement des nations ne sont pas toujours ascendantes. Par conséquent, il existe des raisons d’espérer un développement porteur de paix et de stabilité au Sahel en dépit de défis nombreux et complexes.

Une fragilité aggravée par la crise du coronavirus

Les conflits, dont les causes sont multiples, augmentent et font le lit du terrorisme. L’année dernière, la région qui s’étend de la Mauritanie jusqu’au Tchad en traversant le Mali, le Niger et le Burkina Faso, a connu plus de 1 000 événements violents qui ont coûté la vie à près de 8 000 personnes et contraint plus d’un million et demi de personnes à fuir.

Faut-il aussi rappeler que dans cette région où 80 % des personnes vivent dans la pauvreté extrême, c’est-à-dire avec moins de 1,9 dollar par jour, et travaillent dans l’agriculture, la hausse de température provoquée par le changement climatique, qui est une fois et demie plus rapide que dans le reste du monde, a des conséquences dramatiques ? Plus de 11 millions de Sahéliens sont menacés par la famine et 40 % des enfants de moins de cinq ans souffrent d’un retard de croissance. Par ailleurs, avec une moyenne de 6,4 enfants par femmes et une population qui devrait plus que doubler d’ici 2050, dont la moitié aura moins de 15 ans, la croissance économique reste insuffisante pour offrir une instruction adaptée, fournir des emplois pour tous, des services publics de qualité et améliorer le quotidien des Sahéliens.

Une situation aggravée par le coronavirus. Si jusqu’à présent les conséquences sanitaires de la pandémie ont été limitées, son impact économique et social risque d’anéantir cinq années de progrès en matière de développement dans l’ensemble des pays du Sahel. On estime ainsi que plus de 1,3 million de personnes supplémentaires basculeront dans la pauvreté extrême en 2020. Cette situation vient peser sur les finances publiques déjà fragiles des gouvernements qui ont dû augmenter leurs dépenses sécuritaires au détriment des services sociaux. D’autant que les envois de fonds des migrants vers l’Afrique devraient reculer de 9 % en 2020.

Le développement demande de la constance, de la volonté et de l’audace

Pour autant, ne perdons pas de vue les avancées quotidiennes qui ne font pas la une des journaux. Nous voyons par exemple les États se mobiliser et collaborer pour renforcer la sécurité mais également pour préserver et partager leurs ressources naturelles ;  de plus en plus de femmes prendre leur destin en main, accéder à des formations professionnelles et travailler dans des secteurs porteurs ; des chefs religieux et de nouvelles lois s’opposer au mariage précoce. Nous sommes encouragés par la baisse du taux de mortalité infantile et inspirés par l’incroyable résilience et le sens de l’innovation de jeunes femmes et hommes qui créent leur start-up ou se lancent dans l’agroalimentaire. Certes, certains pays font face à des crises politiques cycliques, mais ailleurs dans la région, le processus démocratique est en marche et la gouvernance s’améliore.

C’est pour soutenir cette réalité-là et pour réduire les causes profondes de fragilités que la Banque mondiale prévoit d’intensifier son action au Sahel au cours des trois prochaines années en accordant un financement record de 8,5 milliards de dollars par le biais de son Association Internationale de développement. Cette mobilisation sans précèdent s’ajoute aux financements exceptionnels mobilisés en réponse à la COVID-19 et à la suspension temporaire des paiements de la dette facilitée par le G20. Car la Banque mondiale ne pourra remplir sa mission d’éliminer la pauvreté extrême en Afrique si elle ne donne pas la priorité au Sahel.

Comment s’assurer que ces ressources serviront à accélérer la résilience face au climat ? En les injectant dans la modernisation de l’agriculture et dans l’irrigation, surtout dans les zones rurales. Comment gérer l’urgence actuelle causée par la pandémie tout en prévenant les conflits et en luttant contre l’exclusion ? En investissant dans la protection sociale et la sécurité alimentaire, surtout dans les zones les plus critiques pour atteindre les populations les plus vulnérables. Comment faire en sorte que tous ces efforts ne soient pas annihilés par une croissance démographique insoutenable ? En continuant de financer l’autonomisation des femmes et la scolarisation des filles.

Comment assurer des emplois stables aux quelque 1,2 million de jeunes qui entrent chaque année sur le marché du travail ? En s’attachant à améliorer le niveau d’instruction, en contribuant à développer des infrastructures essentielles à l’activité économique. Notamment l’accès à l’électricité et au numérique ainsi que le désenclavement de la région par l’amélioration substantielle des moyens de transport. Et aussi, en soutenant le développement des entreprises privées et en garantissant les risques qu’elles prennent avec l’appui de l’ensemble du groupe de la Banque mondiale (Société financière internationale et Agence multilatérale de garantie des investissements). Bien entendu, il faudra aussi se mobiliser en faveur d’un accès équitable aux vaccins aux pays du Sahel et leur distribution dès qu’ils seront disponibles.

Mais la Banque mondiale n’est qu’un partenaire et l’avenir du Sahel réside avant tout entre les mains des Sahéliens, surtout de sa jeunesse. C’est ensemble, avec l’appui de la communauté internationale, notamment l’Alliance Sahel, du secteur privé et de la société civile que nous réussirons à y reconstruire un avenir meilleur. Car après tout, le développement demande de la constance et de la volonté. Il doit accepter de prendre des risques et ne peut se passer d’une action collective.