SOCIÉTÉ : L’espace civique au Niger : Entraves, enjeux et défis
(Niamey 18 Juillet 2020) En partenariat avec l’Ong internationale Oxfam, le Réseau des Organisations pour la Transparence et l’Analyse Budgétaire (ROTAB-Niger) a organisé ce matin une journée scientifique d’échanges et de réflexion sur l’espace civique. La rencontre s’est déroulée à l’Hôtel Bravia et a réuni autour d’une même table Universitaires, acteurs de la société civile, défenseurs des droits humains, professionnels de Droit, agent de l’administration publique et du secteur privé, hommes des médias, leaders politiques etc. Trois (3) textes de loi étaient au menu des échanges : la loi 2004 portant sur les manifestations sur la voie publique; la loi 2019- 33 sur la cybercriminalité et la loi 2020-019 portant sur les interceptions des communications émises par voie électronique.
L’espace citoyen actuel
A l’entame de ce panel multi-acteurs, le Pr Issoufou Yahaya, Historien et Politologue a rappelé l’état critique des libertés publiques au Niger. Selon lui, l’espace citoyen nigérien est aujourd’hui confronté à beaucoup de défis liés notamment au problème de jouissance effective des libertés individuelles et collectives ainsi que des droits civiques et politiques.
Du reste, l’illustration a été largement faite par différents intervenants soulignant les détentions et interpellations des opposants politiques (Seydou Bakari, Oumarou Dogari, Issoufou Issaka, Mamane Issa, Ibrahim Bana, Amina Maïga), des acteurs de la société civile (Maikoul Zodi, Moukaila Halidou, Moudi Moussa, Mustapha Elh Ada), des fonctionnaires de l’Etat (Salou Gobi, Dr Dillé Issimouha), des militaires (Général Salou Souleymane et le Capitaine Hambally), des journalistes interpellés ou inquiétés (Mamane Kaka Touda, Ali Soumana, Moussa Akser) ou croupissant actuellement en prison (Samira Sabou). Cette situation qui tend à se cristalliser à quelques mois seulement des élections générales 2020-2021 est devenue encore plus complexe avec l’interdiction systématique des manifestations publiques puis l’adoption récente de la loi 2019 – 33 sur la cybercriminalité et de la loi 2020-019 portant sur les interceptions des communications émises par voie électronique. Or « Si on peut parler librement, c’est parce qu’il y a des gens qui se sont sacrifiés et qui continuent à se sacrifier pour que le magistrat puisse accomplir correctement sa mission » a martelé le Professeur Issoufou Yahaya.
En dépit de tous ces risques, des voix s’élèvent pour dénoncer la mauvaise gouvernance caractérisée, selon elles, par « les détournements massifs des deniers publics » (Affaire ministère de la Défense Nationale et les irrégularités de gestion dévoilées par le dernier rapport de la Cour des Comptes transmis au Chef de l’Etat), c’est sans occulter ce qu’elles qualifient également de « l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire ».
A comprendre le Pr Issoufou Yahaya, facilitateur du panel, cette situation met à rudes épreuves d’une part « la liberté ou le bien propre de tous » et de l’autre, « l’isonomie qui prône l’égalité des citoyens devant la loi » dans une « République ou la Chose de Tous ».
L’engagement citoyen : qu’est-ce à dire ?
Selon les explications du Dr Sherif Elisabeth l’engagement citoyen se traduit par la participation du citoyen à la vie de la Cité. « L’engagement citoyen traduit surtout une certaine forme de civilité, c’est un comportement qui oblige chacun à être attentif au respect de l’autre, au maintien de ses relations de tolérance et qui permet à une société d’aller de l’avant » a-t-elle souligné. L’engagement est volontaire, poursuit-elle, et peut revêtir plusieurs formes dont toutes concourent essentiellement à une perpétuation de l’héritage des Valeurs et Normes sociétales (Solidarité, Tolérance, Fraternité, l’Amour, la Paix, la Dignité, le Sens de l’Honneur, le Respect de la Parole donnée etc.). Elle a profité de l’occasion pour inviter les citoyens à poursuivre cet engagement avec beaucoup de responsabilité. « Il est important que les gouvernants de ce pays et de l’Afrique de manière générale cessent de censurer ces mouvements citoyens mais qu’ils commencent à les intégrer et les associer à la gestion des affaires publiques » a conclu Dr Élisabeth Shérif.
La Liberté de manifester
Prenant la parole à son tour, le Procureur Oumarou Ibrahim, ancien membre de la Cour Constitutionnelle et Chercheur, a déclaré que « le fait de participer à une manifestation non déclarée, voire interdite, ne fait pas l’objet d’un délit et ce, tant que la force publique n’enjoint pas aux manifestants à se disperser ». Vu sur cet angle, les manifestants sont alors dans le cas d’attroupement, dit-il, prévu par du Code pénal et qui le désigne comme étant « le rassemblement de personnes, sur la voie publique ou dans un lieu public, susceptible de troubler l’ordre public».
Cybercriminalité et interceptions des communications émises par voie électronique.
La cybercriminalité et les écoutes téléphoniques font débat au Niger. Mieux, la rumeur s’est maintenant répandue qu’un téléphone portable même fermé peut être localisé ou devenir un micro ; ce qui ajoute à l’inquiétude et nous conduit au thème du «Tous sur écoutes, tous fichés ». A ce propos, l’ancien Procureur Oumarou Ibrahim avertit que les abus qui peuvent découler de ces écoutes posent un problème politique d’où la question de savoir si les droits au secret de la correspondance et à l’intimité sont protégés ? A ce problème politique, explique le Procureur Oumarou Ibrahim, s’ajoute une question technique : violer ces droits est-il facile ?
L’un dans l’autre, a-t-il fait savoir, il ne faut pas confondre l’interception des télécommunications avec le fichage, qui est la collecte, le traitement et l’utilisation de données sur des individus, données obtenues par bien d’autres moyens que l’écoute. Les écoutes administratives sont définies limitativement. Peuvent être autorisées les interceptions de communications émises par voie électronique ayant pour objet la recherche de renseignements concernant : l’atteinte à la sûreté de l’Etat et à l’unité nationale ; l’atteinte à la défense nationale et à l’intégrité territoriale ; la prévention et la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée ; la prévention de toute forme d’ingérence étrangère et d’intelligence avec l’ennemi ; la sauvegarde des intérêts économiques et scientifiques.
Ces interceptions «proactives», a dit Oumarou Ibrahim, sont demandées par le Premier ministre ; le Ministre chargé de la défense ; le Ministre chargé de l’Intérieur ; le Ministre chargé de la Justice et le Ministre chargé des Finances. Au final, il appartient au Président de la République ou à la personne par lui déléguée d’accorder ou pas les autorisations d’interceptions.
De toute façon, « Tirer des écoutes illégales n’est pas admissible en justice » a conclu le Procureur Ibrahim Oumarou.
Les recours des citoyens contre les lois et décisions jugées liberticides
« Lorsque le contrôle citoyen n’est pas assez fort pour contre les dérives, il y a des lois liberticides » a déclaré le Professeur Djibril Abarchi Juriste. Il a entretenu les participants sur les recours des citoyens contre les lois et décisions jugées liberticides. Il a largement édifié l’assistance sur les Recours contre les lois jugées liberticides (Les recours juridictionnels formels, Les recours auprès des juridictions internationales). Aussi, le Conférencier a mentionné les limites de l’efficacité des recours juridictionnels en tant que cadre de correction des lois liberticides.
Dans le même ordre d’idée, le Professeur Djibril Abarchi a expliqué les recours contre les décisions jugées liberticides. Pour conclure, il a beaucoup insisté sur la nécessité de renforcer le contrôle citoyen, renforcer les recours devant les juridictions communautaires et internationales ; de constituer un cadre permanent de renforcement des compétences des acteurs de la société civile pour l’exercice des recours sans négliger le renforcement de l’indépendance de la justice interne.
De l’avis général des participants à cette rencontre, il est souhaitable que ce genre de cadre soit pérennisé afin de contribuer à édifier le citoyen sur la connaissance et la défense de ses droits sans oublier de respecter ses devoirs.
Abdoulaye Abdourahamane Ahamadou / niameysoir.com