NIGER : Les remaniements ministériels de la période démocratique et de la… 7ème République


Entre le 23 avril 1993, date de la mise en place du premier gouvernement de la 3ème République, et le 1er Février 2019, il y eut au total près de 14 gouvernements et 33 remaniements ministériels au Niger. Quelles leçons pourrait-on en tirer, au regard des voix qui s’élèvent en faveur de la réduction du train de vie de l’Etat ?

Sur les 14 gouvernements mis en place et les 33 remaniements effectués entre le 23 avril 1993 et le 1er février 2019, on dénombre : 4 gouvernements pendant la 3ème République ; 1 gouvernement et 3 remaniements durant la transition de 1996 ; 1 gouvernement et 3 remaniements au cours de la 4ème République ; 1 gouvernement et 1 remaniement lors de la transition de 1999 ; 3 gouvernements et 8 remaniements pendant la 5ème République ; 1 gouvernement et 1 remaniement dans l’éphémère épisode de la 6ème République ; 1 gouvernement et 2 remaniements pendant la transition de 2010 et 2 gouvernements et 15 remaniements depuis le début de la 7ème République.
Ainsi, près de la moitié des remaniements ministériels enregistrés depuis l’amorce du processus démocratique nigérien ont eu lieu sous la 7ème République. Les 9 remaniements du premier mandat et les 6 du second mandat en cours, donnant un total de 15 remaniements dans les 33 remaniements effectués entre 1993 et 2019.

On peut être tenté d’attribuer ce nombre relativement élevé de remaniements à la stabilité politique observée sous la 7ème République. Mais la 5ème République, qui a été caractérisée par près de 10 années de stabilité, a connu moins de modifications d’équipes gouvernementales. Il y eut par exemple seulement 2 remaniements dans le premier quinquennat de la 5ème République, contre 9 sous la 7ème République. Et à près de 2 années de sa fin, le second quinquennat de la 7ème République affiche déjà 6 modifications, équivalant au nombre total de remaniements effectués dans le 2nd quinquennat de la 5ème République.

Par ailleurs, l’examen des remaniements effectués sous les 5ème et 7ème Républiques permet de constater que la circulation des élites gouvernementales a été beaucoup plus significative sous la 5ème République, en dépit du nombre plus élevé des remaniements observés sous la 7ème République. Une bonne partie des remaniements de la 5ème République ayant été profonds, impliquant le renouvellement de près du tiers des équipes gouvernementales, contrairement à la forte tendance des remaniements plutôt techniques observés sous la 7ème République.

D’autre part, ces remaniements relativement nombreux entrepris sous la 7ème République, donnent quelques indications sur le climat politique du pays, mais aussi la tendance des mœurs politiques et du mode de gouvernance observés ces dernières années. Sur les 9 modifications effectuées dans le courant du premier quinquennat par exemple, 6 ont principalement été causés par des affaires et des frictions entre les membres du gouvernement ou au sein de la majorité au pouvoir.

En effet, le remaniement du 2 avril 2012 était lié à 2 affaires. L’affaire du marché public octroyé à un parlementaire en violation de l’article 52 de la constitution, dans laquelle étaient impliqués le Ministre des Finances et celui de l’Equipement, tous les deux issus du premier cercle du parti au pouvoir. Et l’affaire du colis des colas envoyé frauduleusement à la Mecque, découvert par les Saoudiens, mettant en cause la Ministre des Transports de l’époque.
Le remaniement du 26 août 2013 avait été, pour sa part, provoqué par le départ du MODEN-FA Lumana de la coalition MRN. Celui du 25 août 2014 a été occasionné par la mise en examen du Ministre d’Etat, Ministre de l’agriculture. La tension qui aurait existé entre la Ministre Déléguée auprès de Mines et du développement industriel et son ministre de tutelle, aurait, par ailleurs, été à la base du remaniement technique du 20 avril 2015.

La modification du 4 juin 2015 devait, quant à elle, consacrer le retour en force du Ministre des Finances limogé le 2 avril 2012, au poste influent de chef de cabinet du Président de la République, en dépit de l’Arrêt n° 05/12/CCT du 15 février 2012 constatant la violation de la loi fondamentale concernant l’affaire du marché public dans laquelle il avait été impliqué. Et le remaniement du 3 septembre 2015 était, quant à lui, indissociable du départ du président du parti UDR-Tabbat du gouvernement, à la suite de l’incompréhension et vives altercations qu’il avait eues avec des membres influents du gouvernement et du parti au pouvoir.

Le même constat de tensions et d’implicite apologie de l’impunité pourrait être fait, concernant les remaniements opérés dans le quinquennat en cours. A titre illustratif, le remaniement du 18 avril 2017, provoqué par le décès de l’étudiant M. Bagalé lors de la répression et la violation des franchises universitaires du 10 avril 2017, s’est traduit par un simple jeu de chaises musicales entre le Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et celui de l’Emploi, du Travail et de la Sécurité Sociale. Le remaniement du 30 octobre 2017 a, pour sa part, été causé par la démission du Ministre d’Etat, Ministre des Transports et leader du parti Amen-Amin. Une démission annoncée par un tweet, avec des termes qui ne laissaient planer aucun doute sur l’atmosphère plutôt tendue et amère de son départ. Il fut remplacé par un élément du noyau du parti au pouvoir, ayant eu un bilan plutôt fort mitigé à la tête du Ministère de la Défense, faisant l’objet de vives critiques et même d’interpellations graves.

Le 11 avril 2018, ce fut au tour du leader du parti MPN Kishin Kassa d’annoncer également son départ du gouvernement et de la coalition des partis de la mouvance présidentielle, via les réseaux sociaux. Par la suite, le portefeuille régalien des affaires étrangères qu’il détenait fut aussi attribué à un autre élément du premier cercle du parti au pouvoir, et notamment l’ancien Ministre de l’Equipement, limogé en avril 2012 à cause de l’affaire du marché public évoquée plus haut. Et que dire du remaniement du 1er février 2019, faisant suite à la vexante révocation du Ministre des Finances, pour des dissensions internes au parti au pouvoir ?

Bien entendu, la 7ème République n’a pas le monopole des révocations des ministres, liées aux luttes concurrentielles intra et inter partisanes ou à leurs modes de gestion. Il y eut par le passé même des arrestations et emprisonnements des membres de gouvernement et des motions de censure votées contre des chefs du gouvernement.
De ce point de vue, la 7ème République semble juste avoir franchi une étape supplémentaire dans la manière d’exacerber les tensions. Un pas de plus dans les « règlements de compte » officiellement revendiqués ; les humiliations infligées aux anciens alliés, au cours desquelles mêmes des êtres, symboles et institutions qui sont chers à la société nigérienne comme les enfants, les femmes et la famille ne sont plus épargnés ; les réhabilitions/promotions spectaculaires de certaines personnalités compromises et la condamnation sans appel d’autres ; etc.

Mais l’une des particularités marquantes de la 7ème République, en ce qui concerne la mise en place des gouvernements et leurs remaniements, demeure la taille de ses récents gouvernements, et notamment leur dimension pléthorique. En effet, l’exploration des 14 gouvernements mis en place et des 33 remaniements effectués entre le 23 avril 1993 et le 1er février 2016, permet de constater que le gouvernement Hama Amadou du 25 février 1995, détient jusque-là le record du gouvernement ayant eu le faible nombre de membres avec un total de… 16 ministres. Il est suivi du gouvernement Boukary Adji du 1er février 1996, composé de 17 membres dont 14 ministres et 3 secrétaires d’Etat.

Les mêmes données permettent également de remarquer que le plus grand nombre de membres de gouvernement atteint sous la 3ème République était 27, contre 26 pour la 4ème République, 31 pour la 5ème République, 31 également pour la 6ème République et jusqu’à…42 pour la 7ème République, à l’issue du remaniement du 19 octobre 2016. Et en octobre 2018, lors de la polémique suscitée par la nomination d’un conseiller à la Présidence avec rang de ministre, l’opinion publique apprit que le Niger aurait…25 ministres conseillers. Soit donc un total d’au moins…67 (42 +25) ministres.

Ces 67 ministres du dispositif actuel, font presque le double du gouvernement ayant eu le plus grand nombre des membres pendant la 5ème République. Cela met clairement en évidence la dimension pléthorique des gouvernements de la 7ème République, tout en justifiant, d’une certaine manière, les allégations portant sur le penchant que la 7ème République aurait pour un train de vie plutôt onéreux de l’Etat. Et ceci d’autant que c’est aussi sous celle-ci que la taille de l’Assemblée passa de 113 à 171 députés, à l’issue d’une loi votée en octobre 2014, en l’absence des députés de l’opposition et qui suscita, sans surprise, une vive polémique au sein de l’opinion publique, au regard des moyens limités de l’Etat et des dépenses qu’elle est censée occasionner, pour un rendement de la représentation jugé plutôt insignifiant.

C’est aussi sous la présente 7ème République que des institutions comme celle qui abrite le Haut Représentant du chef de l’Etat ont été créées. A cela s’ajoute la hausse des frais de mission des hauts représentants et cadres de l’Etat récemment consacrée, ainsi que l’idée d’un régime de retraite des conseillers techniques du Président de la République et du Premier Ministre brièvement évoquée.

Enfin, au moment où les populations peinent de plus en plus à satisfaire leurs besoins élémentaires, il serait judicieux de réduire toutes les dépenses non indispensables, initiées dans le seul but d’alimenter les filières de recrutement et ou de fidélisation des clientèles politico-électorales. Un retour aux équipes gouvernementales restreintes, animées par des femmes et des hommes compétents, particulièrement soucieux de l’efficacité et de l’effectivité des politiques publiques, non seulement allègerait le train de vie coûteux de l’Etat, mais aussi contribuerait fortement à mettre un terme à l’inanité de l’action publique ainsi que les inégalités, les drames de misère et la crise de confiance qu’elle génère entre la classe politique et les populations nigériennes. Il serait également important d’accorder, par ailleurs, une plus grande attention aux voix qui s’élèvent en faveur d’un remaniement imminent, afin de mettre un terme à la situation inédite occasionnée par l’investiture du Ministre de l’Intérieur en tant que candidat du principal parti au pouvoir à l’élection présidentielle de 2021. Cela aiderait à écarter les soupçons de conflit d’intérêts de plus en plus exprimés par les partis politiques de l’opposition, une partie de l’opinion publique et d’observateurs de la scène politique nigérienne, mais aussi contribuerait au renforcement des conditions favorables au retour d’un dialogue politique serein et une adoption consensuelle des règles du jeu électoral, à même de se solder par l’organisation d’élections crédibles, libres, transparentes, inclusives, apaisées et apaisantes.

Vivement….

Elisabeth Shérif